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c’est ce qui manifeste son identité avec la vie nationale dans sa puissance traditionnelle et ses complications.

L’histoire des constitutions ne serait que la plus futile des recherches, si elle n’était que l’étude des formes. Elle n’a un intérêt véritable qu’à la condition de descendre dans la vie même d’un peuple, dans la réalité de ses mœurs, de pénétrer l’essence de son organisme social et moral, à quelque période qu’elle s’applique d’ailleurs. C’est à ce point de vue que M. Lerminier vient d’écrire un Essai sur les Législateurs et les Constitutions de la Grèce antique. La démocratie d’Athènes ou de Syracuse, la constitution spartiate, les institutions crétoises, les religions, les législations, les oligarchies, les tyrannies, — tous ces phénomènes, ces types et ces nuances de la vie antique, M. Lerminier les décrit dans un style ferme et coloré, en les éclairant par l’histoire des faits et en montrant leur perpétuel rapport avec la réalité. Si antique que cela soit, ne croyez point qu’il n’y ait souvent dans ces tableaux de quoi nous instruire sur les choses les plus actuelles. On est surpris parfois de voir à cette distance les mêmes crises sociales engendrant les mêmes résultats. Il y aurait surtout une observation à faire : c’est que le socialisme d’aujourd’hui se retrouve à peu près universellement dans ses principaux dogmes, dans ses principales tendances, au fond des sociétés antiques ; c’est un amalgame païen offert comme progrès aux sociétés chrétiennes, et c’est ce qui faisait dire justement à M. de Tocqueville, l’autre jour à l’Académie, que toutes ces tentatives nous étonneraient moins, si nous avions un peu plus d’érudition, ou un peu plus de mémoire. Malheureusement les sociétés n’ont point d’érudition, et les hommes manquent de mémoire : le mal leur apparaît toujours comme une nouveauté, pour peu qu’il se vête à la mode de la veille. Que si on cherche le rapport que peut avoir le livre de M. Lerminier par son inspiration avec le travail moral et intellectuel qui semble s’accomplir, il est évident que l’auteur ne juge pas les choses du même point de vue qu’autrefois. Les idées du XVIIIe siècle n’ont plus visiblement en lui un aussi chaleureux sectateur. Le partisan des prérogatives de l’esprit humain reste sans doute, mais avec une expérience de plus, — celle des déceptions et des désastres infligés aux sociétés par le despotisme des systèmes et des ambitieuses aberrations de l’intelligence livrée à elle-même.

Ce n’est point dans le passé que nous ramène M. John Lemoinne, c’est dans le temps présent, au cœur même de la société contemporaine. L’auteur des Études critiques et biographiques est un historien de tous les jours, improvisateur brillant, accoutumé à ne point laisser dormir ses impressions, et qui s’arrête un moment pour rassembler quelques-unes des plus remarquables pages semées sur sa route. Shakspeare, l’abbé Prévost, le comte de Malmesbury, Mirabeau, Brummel, O’Connell, Robert Peel, Chateaubriand, Mme la duchesse d’Angoulême, tout se mêle, tout se confond dans ce recueil comme dans la vie d’un homme qui obéit à l’inspiration subite, et qui ne laisse point passer un jour sans peindre au passage les personnages qui se succèdent. Parmi tant de journalistes, dont les pages ne peuvent survivre à la circonstance qui les inspire, M. John Lemoinne a au contraire ce qui donne un attrait toujours nouveau aux plus rapides esquisses : l’élégance et la distinction unies à une facilité singulière, une sorte d’originalité poétique, des traits soudains et pleins