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qui a pris en haine la plus belle moitié du genre humain parce qu’il a perdu un procès contre sa cousine Marie, procès qui lui enlève la moitié de son patrimoine ; mais Madelon est si prévenante pour son hôte Arthur, que celui-ci a bien de la peine à résister à tant de séductions : aussi ne résiste-t-il pas, et, en tombant à ses genoux, il lui fait l’aveu humiliant de l’amour qu’il éprouve pour elle. Son bonheur est complet quand il apprend que Madelon n’est autre que sa cousine Marie, qui a pris ce chemin détourné pour lui restituer la fortune qu’il avait perdue. On écouterait ces deux petits actes sans trop d’impatience, si la musique de M. Bazin avait plus d’entrain et renfermait moins de lieux communs. M. Bazin a peu d’idées, et sa forme n’est pas assez piquante pour relever le caractère monotone et contourné de ses mélodies. Un joli quintette au premier acte et un agréable nocturne au second sont les seuls morceaux qui nous aient paru mériter d’être signalés dans cette partition, qui est l’œuvre estimable d’un musicien de mérite.

Le Théâtre-Italien vient de clore assez tristement sa campagne. Les plus intrépides amateurs de musique italienne n’osaient plus s’aventurer à la salle Ventadour, même pour y entendre le Barbier de Séville de Rossini, abandonné à des interprètes tels que Mlle Cruvelli, M. Calzolari, ed altri biruanti ! S’il n’y avait pas eu M. Lablache, dont le magnifique talent est une protestation vivante contre la décadence de l’école italienne, on aurait eu peine à se faire une idée du plus admirable opéra bouffon qui ait été créé depuis cinquante ans.

Les concerts sont toujours de plus en plus nombreux et se succèdent avec une telle rapidité, que c’est à peine si nous pouvons assister aux plus remarquables. Le sixième concert du Conservatoire, qui a eu lieu le 21 mars, n’a pas offert un très grand intérêt. Après l’ouverture d’Eurianthe de Weber, on a exécuté un fragment des Ruines d’Athènes de Beethoven, dont le duo a été fort mal chanté, particulièrement par Mme Laborde. D’où vient donc la prédilection de la société du Conservatoire pour cette cantatrice médiocre, qui n’a aucune intelligence du style élevé, et qui est toujours à côté du ton ? Il est vraiment déplorable d’entendre au Conservatoire, à côté du premier orchestre de l’Europe, des chanteurs dont voudrait à peine un théâtre de province. Nous avons été aussi très peu édifié de la manière dont la société des concerts a exécuté le chœur de la Fête d’Alexandre de Haendel, qui terminait la séance. Ce chœur vigoureux fait partie d’un oratorio, et a sa place marquée dans le développement d’un récit dramatique : il aurait fallu en expliquer le sens au public, qui n’a pu deviner l’intention du poète, ni celle du musicien. Les quelques mesures de récitatif qui ont été balbutiées par je ne sais quel coryphée n’étaient pas suffisantes pour préparer l’auditoire à l’explosion de ce chœur admirable, qui d’ailleurs a été chanté beaucoup trop vite. Puisque la société des concerts manifeste l’excellente intention de sortir enfin du cercle trop restreint de son répertoire habituel, nous l’engageons à étudier avec plus de soin l’œuvre de Haendel, qui est, avec Bach, son contemporain, avec Gluck et Beethoven, l’un des plus vigoureux génies de l’art musical. Il y a dans la Fête d’Alexandre bien d’autres morceaux dont la société des concerts pourrait enrichir son programme, et nous lui signalons particulièrement un air de basse avec chœur :

Bacco bello in fresca éta
Inventò l’uso del bere,


qui est du plus beau caractère.