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l’amateur de bimbeloterie accordait aux ouvrages du maître tourneur. Antonia ne fut point insensible aux politesses du galant Pompeo ; elle sut aussi beaucoup de gré à son autre adorateur de flatter le père avant de songer à la fille ; mais, comme tous ces jeunes gens étaient beaux, pleins d’esprit, et par conséquent dangereux, la Frascatane résolut, jusqu’à plus ample information, de tenir son cœur à deux mains.

Les jeunes dandies ne manquèrent pas de revenir tantôt ensemble, tantôt séparément. Maître Nicolò, voyant qu’on n’en voulait pas autant à lui qu’à sa fille, ne se dérangea plus, hormis pour le jeune seigneur épris de ses ouvrages. Retiré derrière un paravent, le père laissa la jeunesse folâtre gaspiller les heures dont l’artiste connaît mieux le prix. L’atelier du maître tourneur devint ainsi un salon de conversation. Antonia, grace à la souplesse naturelle de son sexe, prit le ton du beau monde, en sorte qu’au bout d’une semaine on aurait cru qu’elle n’avait fait autre chose depuis son enfance que tenir académie. Tandis que le tour de maître Nicolò donnait à la matière brute les formes les plus capricieuses, le jeune amateur de bimbeloterie trouva enfin l’occasion de déclarer tout bas à Antonia qu’au fond il était plus amoureux d’elle que des échecs et des quilles de son père.

— Votre manège ne m’a point échappé, lui répondit la jeune fille. Il reste à savoir maintenant si c’était un subterfuge pour tromper la confiance de mon père ou un moyen innocent et ingénieux de gagner son amitié. Si vous n’avez d’autre envie que d’abuser une pauvre fille, vous auriez aussi bien fait d’aller droit au but, comme votre ami Pompeo, qui a du moins le mérite de ne point déguiser ses intentions.

— Belle Antonia, dit le jeune homme avec gravité, votre soupçon m’offense. Écartez l’idée de subterfuge coupable et de mauvaises intentions. Quand le redoutable Pompeo et tous vos autres adorateurs n’auront plus rien à vous dire, si votre cœur a pu résister à tant d’assauts, mon tour viendra de parler. Jusque-là, sachez seulement que je vous aime, et sur le reste permettez-moi de garder le silence.

— Hélas ! répondit Antonia, je ne souhaite pas que vous le rompiez, si vous devez tenir le même langage que vos amis.

— J’ignore quel langage tiennent les autres, reprit le jeune homme. Le mien sera celui d’un galant homme, qui vous aime et vous respecte trop pour désirer votre chute, même à son profit.

— Sainte Vierge ! s’écria la Frascatane en tremblant de tout son corps. Ai-je bien entendu ? Il semblerait… on pourrait supposer que votre seigneurie a jeté les yeux sur une meschinella comme moi pour en faire…

— Une comtesse ? interrompit le jeune homme ; pourquoi non ? Cela ne vous irait pas plus mal qu’à tant d’autres femmes.