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La lune de miel eut douze quartiers, c’est-à-dire que le couple fortuné resta dans sa solitude champêtre durant trois mois. Il y serait encore, si le jeune mari n’eût reçu des lettres de sa famille, qui lui conseillait, dans l’intérêt de sa femme, de faire ses visites de mariage. Antonia ne voulait pas quitter la campagne ; elle aurait volontiers renoncé au monde et aux plaisirs des grandes villes, ressources des gens ennuyés et des cœurs indifférens. Pourquoi retrancher sur la part de l’amour, quand l’amour tient lieu de tout ? Mais Emilio voulait aussi que sa femme connût les privilèges de la fortune et d’une brillante position, et, comme il promit que les plaisirs de la ville ne deviendraient qu’un assaisonnement et non une contrainte, l’amoureuse Antonia consentit en soupirant à sortir de la retraite.

La société de Rome s’amusa de la tendresse réciproque de ces deux tourtereaux, des petits soins empressés du mari, des regards incessans de la femme ; on les observait en souriant lorsqu’ils se parlaient à voix basse au milieu du monde, comme des amans qui saisiraient l’occasion d’échanger quelques mots en dépit des jaloux, et on citait ce jeune couple comme un exemple édifiant et rare de l’avantage des mariages d’inclination. Il est certain cependant qu’à Rome et dans toute l’Italie on a de la peine à croire qu’une femme puisse aimer véritablement son mari. Lorsqu’une jolie dame est pourvue d’un sigisbé ou d’un secrétaire intime, on hésiterait, on craindrait de perdre son temps en lui faisant la cour ; mais on ne renonce pas aussi facilement au succès quand on chasse sur les terres d’un mari, quelle que soit la sagesse de sa femme. Antonia s’en aperçut. Les amis d’Emilio venaient souvent chez elle, et ces jeunes dandies, qui dans l’atelier du maître tourneur s’étaient bien gardés de parler mariage, eurent tous l’audace d’affirmer par serment que leur ami n’avait eu d’autre mérite que celui de les devancer. Le seigneur Pompeo ne trouva pas de termes assez énergiques pour peindre comme il l’aurait voulu le désespoir et la consternation où l’avait plongé la nouvelle foudroyante de ce fatal mariage. Il ne doutait point qu’Antonia ne dût revenir un jour de son engouement pour Emilio, ni qu’un amour cent fois plus ardent ne dût finir par être apprécié, en conséquence il s’inscrivait parmi les adorateurs et les amoureux-morts de la divine comtesse pour l’époque, plus ou moins prochaine, d’un refroidissement entre les époux. Ces étranges discours, qui auraient excité les railleries d’une Française, furent écoutés avec une douceur plus désolante que la malice ou la colère.

— Mon cher Pompeo, répondit Antonia. Il est bien possible que vous m’aimiez et que mon mariage vous mette au désespoir. Remarquez, je vous prie, que je n’exprime pas de doute à ce sujet. Vous êtes un fort aimable garçon et vous ne me déplaisez point ; mais ce fatal mariage est accompli, et puisque vous voulez absolument considérer ma tendresse