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pensée de se précipiter dans les eaux du fleuve. C’était le 19 octobre ; dans la plus belle saison de l’Italie ; des groupes de rosiers grimpans et de chèvre-feuilles sauvages embaumaient l’air ; des martinets espiègles jouaient en se préparant à partir pour l’Afrique. Le moyen de se noyer dans ce site enchanteur, d’attrister cette nature souriante par une scène lugubre ! Le moyen de songer au suicide dans ce climat où le bien-être vous entre par tous les pores, à la chaleur de ce soleil vivifiant, sur cette terre chaude, fleurie et prodigue, où l’on a pour rien des bouquets, des citrons, de l’eau délectable, de sublimes peintures et de jolis visages de femmes à regarder tant qu’on en veut ! Peut-être, s’il eût été à Paris, un jour de brouillard et sur les tours de Notre-Dame, il se serait jeté la tête la première, le pauvre Emilio ; mais, à Rome, il n’en eut pas le courage. Vaincu par la douceur des sensations, il retourna chez lui, déterminé à vivre pour son Antonia aussi long-temps qu’il plairait à Dieu. Dans la cour de son palais, il trouva les sbires chargés de l’arrêter.

Antonia, persuadée de l’innocence de son mari, le crut d’abord victime d’une méprise ; mais, lorsqu’elle entendit Emilio avouer ses fautes avant qu’on l’eût interrogé, elle découvrit avec un saisissement profond l’abîme dans lequel cet insensé s’était plongé par amour et par faiblesse. Aussitôt après le départ des sbires, la comtesse courut toute la ville, remua ciel et terre, et versa tant de larmes qu’on eut pitié de sa douleur. Elle obtint la permission de voir son mari tous les jours au château Saint-Ange, où il occupait une chambre vaste et propre. Quand la porte de la prison s’ouvrit, Emilio s’élança au-devant d’Antonia ; il la saisit dans ses bras en lui demandant si elle l’aimerait flétri par une sentence infamante, et, comme elle jura de l’aimer jusqu’au tombeau malgré toutes les sentences du monde, il trouva que son sort était encore très digne d’envie, et il ne s’avisa point de gâter un présent supportable par des regrets inutiles du passé.

Un jour, près du pont Sixte, dix ou douze galériens en veste de laine marchaient lentement, entourés de soldats aussi indolens que leurs prisonniers. Une jeune et belle dame, fort bien vêtue, montée sur un âne et l’ombrelle à la main, cheminait dans les rangs et causait avec un des forçats. Au moment de sortir de la ville par la porte Saint-Pancrace, le convoi s’arrêta devant la boutique d’un petit limonadier, qui s’empressa de servir des rafraîchissemens aux seigneurs galériens. La dame prit un sorbet ; l’officier qui commandait le détachement accepta une glace, et les soldats attendirent, assis à terre, que leurs seigneuries fussent disposées à se remettre en route. D’une calèche élégante descendit un jeune homme, qui vint saluer la dame et serrer la main de l’un des galériens : c’était Pompeo, qui faisait de tendres adieux à son ami Emilio et à la divine comtesse. L’officier regarda sa