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ville n’avait point ratifié un arrangement qui froissait tous ses préjugés.. Les marchands chinois, réunis par corporations, se concertaient pour frapper d’interdit les produits des manufactures britanniques ; les braves des villages n’attendaient qu’un signal pour courir aux armes, et des placards menaçans étaient chaque jour affichés sur les murs des factoreries. Pendant que les mandarins de Canton cherchaient dans cette effervescence un prétexte pour éluder la principale clause d’un traité consenti à regret, pendant qu’au nom de la paix publique ils disputaient aux Européens l’accès de la ville intérieure, les Anglais, de leur côté, se montraient décidés à briser les portes qu’on refusait de leur ouvrir. Les graves complications que cette contenance hostile des Cantonais faisait prévoir imposaient au ministre de France le devoir de se retrouver à son poste plusieurs jours avant l’échéance du traité de sir John Davis. Aussi, dès que la marée nous permit de tenter l’appareillage, nous empressâmes-nous de mettre sous voiles. Quelques heures après l’arrivée du clipper américain, la Bayonnaise, poussée par une belle brise de nord-ouest, avait laissé derrière elle l’embouchure vaseuse du Wampou et se dirigeait vers les ports de Ning-po, de Chou-san et d’Amoy, qu’elle devait visiter avant de rentrer à Macao.

Nous avions appris, en remontant le Yang-tse-kiang, combien il était dangereux de s’approcher des bancs de sable mouvant qui limitent vers le nord le chenal navigable : nous voulûmes cette fois serrer d’aussi près que possible la rive méridionale du fleuve. De ce côté, la sonde ne rencontre que des pentes douces et régulières ; la profondeur est moindre qu’au milieu du chenal, mais on n’est pas exposé à voir le fond diminuer subitement, si ce n’est cependant sur un point, le seul peut-être qui présente ce danger, situé à dix-huit milles environ du mouillage de Wossung. En cet endroit, le Yang-tse-kiang forme un coude assez brusque, et le plateau sous-marin, tranché d’une façon plus abrupte, s’étend aussi à une plus grande distance de la côte. Nous nous préparions à contourner ce point critique, signalé à notre attention par la carte du capitaine Béthune, quand le fond monta rapidement de huit brasses à sept brasses, puis à six. Nous mouillâmes à l’instant, et la corvette s’arrêta sur le talus qu’elle allait gravir. Il restait encore près de dix pieds d’eau sous la quille de la Bayonnaise ; mais la mer était haute et devait baisser de quinze pieds avant la fin du jusant. Un canot que nous envoyâmes sonder autour de la corvette retrouva heureusement le chenal, et les dernières lueurs du crépuscule nous guidèrent vers un meilleur mouillage. La nuit fut orageuse, et de violentes rafales du nord-ouest nous firent craindre souvent de chasser sur notre ancre. Aux approches du jour, le temps s’éclaircit, et le vent épuisé tomba presque complètement. Dès que le soleil eut percé