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gauche. Bientôt, en dépit de tous nos efforts, notre pauvre corvette se trouva enfoncée de plusieurs pieds dans la vase. Heureusement une lorcha portugaise avait été envoyée par le vicaire apostolique du Che-kiang au-devant du ministre de France. Nous confiâmes à ce navire le soin de transporter à Ning-po M. Forth-Rouen, et nous attendîmes patiemment, pour sortir d’embarras, le secours de la marée montante.

Ce ne fut que le lendemain que nous pûmes nous arracher à la fange tenace dans laquelle la corvette commençait à s’enfouir. Arrivés près du second coude que forme ; par un détour subit, le cours du Yung-kiang, le vent de nord-est nous contraignit encore une fois de jeter l’ancre. Nous luttions depuis trois jours contre des difficultés imprévues. En nous opiniâtrant davantage, nous courions le risque de consacrer à remonter et à descendre ce fleuve bourbeux tout le temps qu’il nous était permis de passer sur les côtes du Che-kiang. Nous prîmes enfin le parti le plus sage : trouvant, à six milles de Ning-po, à cinq milles et demi de Chin-haë, un mouillage où la profondeur, au moment de la plus basse mer, était encore de quatre et cinq brasses, nous nous tînmes pour satisfaits d’avoir poussé jusque-là notre entreprise, et ce fut au milieu de ce bassin que, le 18 février 1849, nous nous décidâmes à venir affourcher la Bayonnaise.


II

À moins d’une encâblure de ce dernier mouillage s’étendait, sur la rive droite du fleuve, un village dont le plus imposant édifice était un mont-de-piété institué par l’industrie des prêteurs sur gage pour exploiter la misère des cultivateurs du Che-kiang. Notre imagination se plut à voir dans la position qu’occupait ce village chinois l’emplacement du premier comptoir qu’aient fondé les Européens sur les côtes du Céleste Empire. Non loin de ce détour si bien marqué du fleuve avait dû s’élever, entre Chin-haë et Ning-po, la cité portugaise que visita, en 1542, Fernan Mendez Pinto. Là, trois siècles avant que la Bayonnaise pénétrât dans la Ta-hea, on comptait plus de mille maisons européennes dont quelques-unes n’avaient pas coûté moins de trois ou quatre mille ducats à bâtir. Le sceptre était alors à la veille d’échapper aux mains débiles de la dernière dynastie chinoise. À la faveur des troubles qui agitaient l’empire, le comptoir étranger, enrichi par le commerce du Japon, avait pris en quelques années un développement que les habitans de Ning-po ne pouvaient voir sans ombrage. Quant aux Portugais, ils se croyaient aussi en sûreté sur les bords du Yung-kiang que sur les rives du Tage. La colonie avait ses échevins, ses auditeurs, ses consuls et ses juges. On ne s’y souciait guère de la dynastie des Ming ou de l’autorité de ses mandarins, et les étrangers