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nos porteurs et nos chaises. Au premier appel, les marauds accoururent, et, en dépit d’une pluie battante, nous nous mîmes en route avec l’intention de parcourir dans tous les sens cette grande ville, dont nous n’avions pu, la veille, que traverser les faubourgs au pas de course et au milieu de l’obscurité la plus profonde.

Aussi bien que Canton, Ning-po a une célébrité de vieille date et un long passé historique. On sait que, vers la fin du XIIIe siècle, la dynastie des Soung s’était vue contrainte de transporter de Nan-king à Hang-tchou-fou le siége de l’empire. À la rive droite du Yang-tse-kiang s’arrêtaient alors les possessions des souverains chinois. Les provinces du nord appartenaient déjà aux Tartares. Dotée par la nature d’un excellent port, reliée à Hang-tchou-fou par des canaux intérieurs, la ville de Ning-po eut pendant cette période le rôle que le voisinage de Pe-king assure aujourd’hui à Tien-tsin. Elle venait de subir le joug de Koubilaï-khan, lorsqu’en 1274, Marco Polo la visita et nous la décrivit, sous le nom de Ganpou, comme le centre du commerce, de la Chine méridionale. Deux cent soixante ans plus tard, Fernan Mendez Pinto vint aborder à son tour aux ports de Liampoo. L’aventurier portugais ne fut pas moins ébloui que le voyageur vénitien du spectacle de cette activité commerciale qui avait survécu à la dynastie mongole comme elle devait survivre à la dynastie chinoise. Situé à proximité des côtes du Japon et des rivages de Formose, Ning-po vit encore grandir sa prospérité sous les règnes des premiers princes mantchous. Les colons du Fo-kien lui apportèrent leur misère industrieuse, les marchands de fourrures du Chan-si leurs immenses capitaux. Jusqu’en 1759, les navires européens furent admis dans la Ta-hea ; mais, à cette époque, la factorerie que les Anglais avaient établie a Ning-po fut détruite, les marchands chinois avec lesquels les étrangers avaient trafiqué reçurent l’ordre de quitter la ville, et des jonques de guerre croisèrent à l’entrée de l’archipel de Chou-san pour en éloigner les navires des barbares. Les côtes du Che-kiang cessèrent donc d’être visitées par les Européens pendant près d’un siècle. Quand les Anglais revinrent à Ning-po, ce fut en vainqueurs qu’ils y reparurent. Au mois d’octobre 1841, la flotte de l’amiral Parker mouilla sous les murs de Chin-haë, et, pendant que les troupes de sir Hugh Gough massacraient sans pitié l’armée chinoise qui avait osé les attendre dans ses retranchemens, les soldats de marine et les matelots de l’escadre escaladaient les remparts de la ville. Découragés par la prise de ce poste avancé, les Chinois n’essayèrent pas de défendre Ning-po. Les Anglais y entrèrent, sans coup férir, le 13 octobre 1841 pour l’évacuer le 6 mai 1842.

Nous avons indiqué dans une autre partie de ce travail[1] avec quelle

  1. Voyez la livraison du 1er septembre 1851.