Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, perchés à la suite l’un de l’autre sur un long bâton scellé dans deux murs parallèles, offrent aux regards des passans un spectacle que je n’oserais décrire ? Tels sont les ignobles points de vue ménagés au voyageur par les soins de l’édilité chinoise. Il n’est certes pas besoin d’être Anglais pour s’échauffer la bile en présence de pareilles horreurs, et pour déclarer avec une légitime indignation que rien au monde ne saurait être plus shocking !

Il est certains côtés par lesquels se laisse aisément séduire l’étranger qui observe et juge : la corruption peut avoir son élégance, et la grace dans le vice a souvent désarmé la rigueur des censeurs les plus austères ; mais le peuple chinois, celui du moins qui habite les villes, n’a rien qui puisse excuser à nos yeux ses faiblesses. Il n’est point de race au monde dont les habitudes semblent plus sordides, dont les instincts aient été plus ravalés par la misère. Si nous avions pu croire un instant que le travail suffisait pour moraliser un peuple, l’aspect de cette immense agglomération d’hommes tout occupée à gagner sa subsistance nous aurait bientôt désabusés. Trois jours d’une exploration minutieuse nous confirmèrent d’ailleurs à Ning-po dans l’opinion que nous avions déjà emportée de Shang-hai. Nous comprîmes que c’était dans les provinces septentrionales de la Chine qu’il fallait étudier l’avenir désastreux qui attend cette population exubérante, si elle continue à repousser la main que lui tend l’Europe, si elle s’obstine à rester confinée, comme Ugolin dans sa tour, entre l’océan et la grande muraille. À Canton, la clémence des saisons adoucit les traits du tableau ; mais à Ning-po l’indigence dans la fange, la misère qui grelotte, la pauvreté qui rassemble ses haillons, provoquent douloureusement la pitié et font pressentir de cruelles souffrances. Lorsque sur les côtes de l’Asie Mineure, dans les champs où fut Troie, dans la plaine marécageuse d’Éphèse, ou près du promontoire que couronnaient les temples de Gnide, on rencontre des fûts brisés, des chapiteaux épars et quelque pâtre errant avec ses chèvres au milieu des ruines, lorsqu’on évoque par la pensée les races disparues qui peuplaient jadis ces déserts, on se sent moins attristé peut-être, moins frappé du néant des choses humaines qu’à la vue de ce peuple pour lequel la paix est un fléau, les unions fécondes un nouveau gage de famine, et qui se dévorerait un jour, si les nations qu’il méprise ne devaient le sauver de lui-même.


III

Nous connaissions la ville de Ning-po autant que nous la voulions connaître ; nous étions impatiens de chercher dans les campagnes baignées par le Yung-kiang de moins tristes spectacles. M. Sullivan voulut