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nature, son organisation susceptible se trouvant comprimées, tout ce qu’il y avait en elle de facultés originales tourna à la singularité ; tout ce qu’il y avait de croyances dégénéra en superstitions.

Ce développement précoce de l’intelligence donna de bonne heure à Marguerite un certain idéal de perfection. Elle cherchait partout autour d’elle les hommes de Shakspeare et de Plutarque, et, à son grand regret, elle ne les trouvait pas ; la maison de son père, son foyer, sa famille, avaient quelque chose de mesquin, et tout y manquait de noblesse et de beauté. À l’église, à la promenade, elle ne remarque que sottise décente et vulgarité. Ses regards se promenaient avec froideur et dédain sur ce monde commun et sur cette populace qui n’avait d’autre mérite qu’une apparence comfortable, lorsqu’un jour ils s’arrêtèrent sur une personne inconnue, et dont l’aspect trahissait l’origine aristocratique. C’était une de ces ladies anglaises, « résultat lentement distillé des siècles nombreux de la civilisation et de la culture européenne. » Ce fut pour Marguerite comme une révélation ; devant elle, rivant et gracieux, se dressait le vague idéal de perfection rêvé confusément ébauché par son imagination d’enfant. La connaissance fut bientôt faite, et Marguerite, pendant tout le temps du séjour de la belle Anglaise, eut un lieu où elle put entretenir ses rêveries et satisfaire son besoin de pleurer sans être troublée par quelque mot impérieux. La sympathie était réciproque, et l’étrangère, durant son séjour aux États-Unis, ne forma avec personne de relations plus intimes qu’avec cette enfant ; Marguerite lui exprimait toute la poésie de l’Amérique, et sa personne faisait deviner à Marguerite toute la poésie de l’Europe. « Sur nos rivages, elle n’avait trouvé que des cités, des hommes et des femmes affairés, les mêmes buts donnés à la vie et les mêmes mœurs que dans son pays, moins cette élégante culture que sans doute elle estimait trop haut parce qu’elle était chez elle uni ; nécessité et une habitude ; mais, dans l’esprit de l’enfant, elle trouvait les fraîches prairies et les forêts immaculées après lesquelles elle avait tant soupiré. Et moi je voyais en elle les châteaux historiques, les grands parcs et les récits merveilleux du passé. »

Cette première amitié est un des événemens de la vie de Marguerite qui expliquent le mieux certains côtés de son caractère. Elle avait l’horreur la plus profonde de tout ce qui était vulgaire, et aurait voulu que la vie fût belle jusque dans ses moindres détails. L’amitié de la noble Anglaise, en lui fournissant un point de comparaison qui lui avait manqué jusqu’alors, lui expliqua l’aversion innée qu’elle s’était.sentie pour le trivial et le mesquin, et elle regretta toujours de n’avoir pas été élevée ailleurs que dans sa famille. « Vous ne sympathisiez pas jadis, écrivait-elle plus tard à M. Freeman Clarke, avec moi, lorsque je vous exprimais le regret de n’avoir pas été élevée parmi des personnes