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qu’il faut remonter, à l’inspiration première, dégagée de ce merveilleux accessoire dont le papillotage trouble l’œil et l’égare. Le motif qui constitue la nationalité musicale d’un peuple n’a point de date précise, la forme dans laquelle vous le trouvez par hasard n’appartient ni à celui-ci ni à celui-là, mais à tous ; il s’est développé à travers les générations comme un arbre se développe, remplaçant par un vert bourgeon la feuille qui jaunit. Telle mélodie, pour avoir varié vingt fois dans le cours des âges, n’a jamais cessé au fond d’être la même. — Nous ne savons au juste si nous chantons ce lied exactement comme on le chantait jadis, mais, ce que nous pouvons dire, c’est que, tout aussi bien que nous, ce lied descend de nos ancêtres, et qu’en dépit des pousses nouvelles il a tenu bon sur sa vieille racine. — C’est surtout chez les peuples du Nord que cette perpétuité traditionnelle d’un chant offre un vif intérêt à qui l’observe et l’étudie, car il ne s’agit plus ici d’une lettre morte ou d’une de ces curiosités banales dont se paie trop volontiers la science bénévole des antiquaires, mais de l’élément même de la vie d’un peuple, d’une force mystérieuse et profonde cachée au cœur de sa nationalité, et de laquelle, au jour de son avènement, l’art empruntera sa première inspiration et le vrai signe caractéristique de son génie. — En quoi le système de Mozart, par exemple, diffère-t-il du système de Hasse, si ce n’est par cet inépuisable filon mélodique creusé dans la mine du champ populaire, si ce n’est par ces tournures si franchement neuves comparées au style conventionnel, au maniérisme pratiqué jusque-là, par ces tournures dont pourtant, depuis plus d’un siècle, la tradition nationale contenait en germe le dépôt ?

Le lied musical, ce produit charmant de l’efflorescence viennoise, cette forme que Schubert agrandit et développa, et dont il fit son royaume comme Beethoven a fait le sien de la symphonie, le lied date de Mozart, qui l’a pris du peuple, où il existait à l’état d’idée, pour le transporter dans le domaine de l’art. J’entends souvent appliquer aux musiciens du Nord ces mots de classiques et de romantiques presque toujours improprement usités parmi nous : c’est idéaliste et naturaliste qu’il faudrait dire. Mozart, Haydn, Charles-Marie de Weber, sont des naturalistes, en tant qu’ils procèdent plus particulièrement de la forme populaire et que le secret de leur originalité réside surtout dans le développement et l’interprétation poétique du motif vulgaire, qui s’étend, se colore et se fixe au souffle créateur de leur génie, sans rien perdre de la grace native et de la saveur première. Bach, Beethoven, Cherubini, au contraire, sont des idéalistes ; avec eux, l’élément simple s’efface et disparaît. Pontifes de l’idée, ils en célèbrent les mystères gravement, solennellement, sans plus se soucier qu’un prêtre d’Eleusis des caprices de la foule et des doutes de ceux que l’initiation n’a point préparés. Plus vastes, plus profonds, mais aussi plus abstraits, à peine si leurs yeux daignent s’ouvrir à la lumière du ciel ; ils regardent en