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Or, le gouvernement anglais, qui croyait, comme tout le monde, pouvoir donner au signe de cuivre une valeur tout-à-fait conventionnelle, faisait frapper de la menue monnaie au tiers de sa valeur intrinsèque. Tentée par une prime de 200 pour 100, la contrefaçon se développa d’une manière vraiment effrayante. On aurait peine à croire les détails recueillis à ce sujet, s’ils n’avaient pas été révélés par un grave magistrat dans un livre dont l’opinion publique fut tellement frappée, qu’on en fit coup sur coup six éditions. Suivant Colquhoun, qui écrivait en 1800 son curieux traité sur la Police de Londres, le faux monnayage, et notamment la fabrication de la monnaie de cuivre, avait pris de tels développemens, qu’on en avait fait en quelque sorte une industrie normale. Il y avait des graveurs à l’usage spécial des faux monnayeurs, des entrepreneurs pour la confection des pièces, des courtiers de diverses classes pour placer cette marchandise. Trois hommes habiles et bien outillés pouvaient confectionner en six jours pour 100 livres sterling de cuivre, et lui donner une valeur nominale trois fois plus forte. Le fabricant faisait une forte remise au marchand, qui lui-même revendait les pièces bien au-dessous du cours légal. Aussi la clientelle de ces derniers était-elle nombreuse : elle se recrutait surtout parmi les industriels de la rue, juifs ambulans, manœuvres irlandais, colporteurs, maquignons, cochers de fiacres ; on y voyait aussi bon nombre de petits boutiquiers, de petits caissiers, des commis de péages qui avaient l’art de doubler leurs revenus en glissant dans les échanges de monnaie des pièces contrefaites. On faisait aussi l’exportation : « A peine partait-il de la capitale, dit Colquhoun, une voiture publique ou un roulier qui ne fût chargé de quelque caisse ou de quelque ballot de fausse monnaie pour les camps, pour les ports, pour les villes de manufactures. » Il n’est pas surprenant que la contrefaçon, facilitée par un si grand nombre de complices, eût pris un développement prodigieux : on assure que les pence de fabrique particulière se trouvèrent quarante fois plus nombreux dans la circulation que la monnaie légale.

Certes, le gouvernement n’était pas indifférent à un aussi grand désordre. On découvrit dans l’espace de sept ans jusqu’à six cent cinquante faussaires, qui furent mis en jugement, condamnés pour la plupart, et quelquefois pendus. Un redoublement de sévérité avait été jugé nécessaire au moment Colquhoun écrivait, et la police avait la main suspendue sur cent vingt industriels faisant leur spécialité du faux monnayage, savoir : dix mécaniciens ou graveurs confectionnant les outils, cinquante-quatre fabricateurs de fausse monnaie et cinquante-six commerçans en gros, autour desquels s’agitait la tourbe des petits fraudeurs. Une partie des coupables subit la rigueur des lois ; un plus grand nombre parvint à s’y soustraire, parce que, les lois anglaises