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n’autorisant pas les poursuites préventives, il était fort difficile de constater le flagrant délit. La menue monnaie glisse de main en main avec une rapidité dont on s’étonnerait, s’il était possible de la calculer. Quand les mauvaises espèces ont absolument la même valeur et le même aspect que les bonnes ; lorsque les différences, s’il en existe, sont à peine perceptibles à la loupe, le détenteur de pièces fausses, surtout lorsqu’il est boutiquier, ne peut-il pas invoquer l’excuse de sa bonne foi ? D’ailleurs un plus grand péril ne diminue jamais beaucoup le nombre des délits, quand il y a un grand profit à les commettre. Un gain considérable réalisé à coup sûr, l’aisance et peut-être la richesse acquises en peu d’années, ce sont là des séductions trop fortes pour cette classe d’individus qui, sans moyens réguliers d’existence, languissent dans cette perpétuelle irritation, dans ce ténébreux état de la conscience que causent les besoins à moitié satisfaits. La misère use la moralité. On s’étourdit peu à peu sur le danger, et on s’abandonne sur cette pente du crime que l’imprudence des législateurs a rendue trop glissante.

Les voies de rigueur ayant été épuisées sans succès, le gouvernement anglais se figura qu’il mettrait sa monnaie d’appoint à l’abri de la fraude en lui donnant un cachet artistique. Il s’adressa, en 1799, au fameux Boulton pour faire fabriquer des sous avec un poinçon très beau et un soin tout-à-fait exceptionnel. Quarante millions de pièces, représentant une somme de 166,666 livres sterling, furent jetées dans la circulation. On n’essaya pas, comme chez nous, de retirer le vieux cuivre monnayé tant bien que mal, dans la persuasion où on était qu’il allait disparaître devant les produits d’un artiste réputé inimitable ; au contraire, les fraudeurs prirent à tâche d’anéantir les belles médailles et de les remplacer par des pièces de leur façon. Storch dit à ce sujet : « Un voyageur qui a vu l’Angleterre en 1806 nous assure que la monnaie de Boulton avait presque entièrement disparu dès cette époque, et que la circulation était encore inondée de pièces fausses. »

Quel remède opposa-t-on donc à ce mal opiniâtre ? On fit précisément le contraire de ce qu’on va essayer chez nous. Après avoir conseillé les mesures pénales les plus opposées aux habitudes anglaises, comme les visites domiciliaires au premier soupçon, la confiscation des monnaies suspectes, de fortes primes accordées aux dénonciateurs, Colquhoun ajoutait : « Il est également certain que la nation retirerait de grands avantages d’une augmentation de poids de la monnaie de cuivre, qui la rapprocherait autant que possible de la valeur intrinsèque du métal dont elle est composée. » Ce sage conseil fut suivi. On donna au penny le poids de l’once anglaise (28 grammes 34 centièmes), proportion qui équilibrait la valeur légale avec le prix de revient. Le