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au-delà duquel il y a chance de bénéfice pour la concurrence frauduleuse. De l’ensemble de nos recherches, il ressort avec une pleine évidence qu’un bénéfice d’environ 200 pour 100 à réaliser par la contrefaçon d’une monnaie est un appât auquel la cupidité a rarement résisté, que la perfection de la gravure n’est pas de nature à paralyser les faussaires, que la presse monétaire offre au travail clandestin de déplorables facilités, et que, si la contrefaçon parvenait, comme on doit le craindre, à multiplier outre mesure les monnaies d’appoint, il en résulterait un trouble dangereux dans le niveau déjà si fragile des gains et des dépenses populaires.

Est-ce à dire que l’affaiblissement de nos monnaies de cuivre doit aboutir nécessairement à d’aussi déplorables résultats ? Nos conclusions ne sont pas aussi rigoureuses. Parce que le crime de contrefaçon est possible, parce qu’il est à craindre, nous ne sommes pas autorisés à affirmer qu’il sera inévitablement commis. Des hommes expérimentés n’ont pas partagé les appréhensions dont nous ne pouvons nous défendre : entre leur avis et le nôtre, l’expérience décidera.

Il y a chance d’ailleurs de paralyser les faussaires par une mesure de précaution dont l’idée se trouve en germe dans cette page de Say que nous avons citée. Il suffirait que, dans chaque canton, un des agens du ministère des finances eût commission spéciale pour pratiquer le change de la monnaie nouvelle, à peu près comme le font les courtiers dont nous ayons parlé. Ces commis échangeraient gratuitement et à la première réquisition le bronze contre l’argent et l’argent contre le bronze. Si les demandes se faisaient équilibre, ce serait la preuve d’une circulation normale. Si, au contraire, le cuivre offert en abondance s’accumulait dans les caisses publiques, l’autorité se tiendrait pour avertie. En soumettant les pièces à l’examen des experts, on parviendrait sans doute à discerner la contrefaçon, si elle avait lieu. La police, mise en demeure d’agir et à portée d’observer les canaux par où affluerait la monnaie suspecte, remonterait tôt ou tard à la source du délit, et une justice exemplaire serait faite des coupables.

Il ne faut pas craindre d’exagérer les précautions et la vigilance. Qu’on y songe bien : dans les termes où la refonte de nos monnaies de cuivre doit s’effectuer, il ne s’agit de rien moins que de changer la mesure consacrée depuis des siècles pour le prix de tous les services, pour les transactions de tous les genres et de tous les instans. Dans une entreprise de cette nature, la prudence, pour être suffisante, doit être excessive.


ANDRE COCHUT.