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ce qui arrivait, il y a quelques années, dans la vie parlementaire : chaque changement ministériel créait un parti nouveau, et il y avait beaucoup de changemens de ministères, ce qui pouvait ajouter à la nomenclature des partis, mais n’ajoutait assurément rien à leur force. C’est là l’effet des révolutions qui se prolongent et des fréquentes substitutions de régimes politiques : elles accumulent les germes de division, multiplient les scissions et les fractionnemens, finissent par réduire la pensée publique en poussière, et font de la société un camp où une multitude d’opinions se surveillent, s’irritent mutuellement, assez fortes et même assez légitimes pour ne point consentir à une défaite absolue, trop faibles pour rien faire ou pour rien empêcher. Ce qui en résulte de nouveau et de plus compliqué dans la situation des pouvoirs publics nés sous l’empire de ces conditions et de la société elle-même aujourd’hui, il est facile de le pressentir.

Quant à la société, pour ne parler que d’elle ici, c’est le sentiment du mal dont elle souffre qui peut le mieux lui dicter ce qu’elle a à faire. Elle a été sur le point de périr par l’excès des divisions intérieures, par une sorte de décomposition morale, intellectuelle et politique ; elle n’est point, certes, hors de péril encore aujourd’hui. C’est à elle de travailler de son propre mouvement à se reconstituer pour faire face à ce péril, et à dissiper ces incohérences qui l’énervent. Pour guérir ce mal, pour rétablir un peu de cohésion dans la société française, nous le savons bien, il y a des remèdes très prompts qui séduisent beaucoup d’esprits : il y a les bonnes intentions d’abord, ce qui ne gâte rien ; il y a en outre les combinaisons de cabinet, les protocoles de salons, les mariages de convenance entre des opinions qui discutent soigneusement leurs titres au contrat, et commencent, probablement pour être mieux d’accord, par s’opposer leurs mutuels sacrifices. Le pire de ces remèdes, c’est d’aggraver le présent sans profit pour l’avenir, en appelant d’indiscrètes curiosités sur des choses qui se font quand elles se doivent faire et ne se discutent pas. La seule union possible à rétablir au sein de la société française, la seule efficace pour le moment, dirons-nous, c’est celle qui s’opère par la voie morale, par la restitution des notions communes à tous les partis conservateurs. S’il y a, comme nous n’en doutons pas, un ensemble de vérités essentielles, inaliénables, sur lesquelles repose la civilisation moderne, il faut les retrouver, les raviver, leur rendre leur ascendant ; il faut que la société se livre à ce courageux travail sur elle-même, qu’elle apprenne beaucoup et qu’elle oublie encore plus, qu’elle se guérisse de ses fanatismes et de ses caprices ; il faut qu’elle se refasse une conscience assurée et invariable sur certaines choses. Quel édifice politique s’élèvera sur ce fond rajeuni ? Nous ne le savons guère en vérité ; ce que nous savons, c’est que les pays qui ont une conscience décidée et vigoureuse sont les seuls qui puissent contraindre les gouvernemens à se plier à leurs inspirations et à leurs besoins. Travailler à cette reconstitution morale, c’est là encore une assez grande œuvre assurément, très propre à ramener les opinions à leurs affinités naturelles, et où il y a place pour tous les efforts, pour toutes les influences, — influences du monde, de l’esprit, des lettres, des arts. — A quoi cela répond-il ? dira-t-on. Cela ne répond à rien, et cela répond à tout. C’est un point de départ pots quiconque veut servir utilement notre société éprouvée et divisée, pour quiconque veut observer le développement contemporain, suivre les événemens