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orageuse avant le reste de l’Europe, on le sait, notamment en 1846 et 1847, et elle a été un des foyers où s’est allumé tout d’abord ce radicalisme révolutionnaire qui est allé enflammer un moment tous les pays. Elle a encore ses dernières luttes après la défaite de la révolution dans le reste de l’Europe ; mais cette fois le radicalisme suisse a rencontré, lui aussi, son échec, échec d’autant plus grave, qu’il lui a été infligé légalement par le vote populaire. C’est dans le canton de Berne, et au sujet d’une proposition de révocation du grand-conseil, que s’est accompli et dénoué heureusement cet épisode assez grave. Le grand-conseil actuel, qui est conservateur, date de 1850, et a été élu par le suffrage universel. Venant après un pouvoir révolutionnaire à la tête duquel étaient MM. Snell, Stœmpfli, Niggeler, et avec la constitution radicale de 1846, on imagine la rude tâche échue à ce gouvernement. Il a eu à réparer lentement et successivement tous les désordres, les gaspillages de ses prédécesseurs, et à rétablir une certaine régularité administrative avec les moyens bornés que lui donnait la constitution. Il a réussi, autant que cela se pouvait, dans ces conditions ; il a pratiqué activement et sincèrement une politique conservatrice. Ce n’était point l’affaire des radicaux de Berne et de M. Stœmpfli, leur chef principal pour le moment : M. Stoempfli a organisé contre le grand-conseil une agitation révolutionnaire des plus ardentes ; les assemblées populaires se sont multipliées, les journaux radicaux ont redoublé de violence et de déclamations incendiaires ; on est allé même jusqu’à l’émeute. La question, pour M. Stoempfli et pour le parti révolutionnaire, était de savoir comment ils auraient raison du grand-conseil, lorsque assez récemment ils ont cru apercevoir une occasion favorable d’engager une lutte décisive. Au mois d’octobre 1851, les élections fédérales, qui sont, comme on le sait, une chose toute différente des élections cantonales, avaient lieu à Berne, et elles donnaient sinon une victoire complète, du moins un demi-succès au parti radical ; sur quoi M. Stœmpfli imagina cette théorie, que le canton devait s’harmoniser avec le résultat des élections fédérales. Restait le moyen à trouver, et on est toujours sûr d’en découvrir au moins un dans une constitution radicale. Celle que le parti révolutionnaire a donnée au canton de Berne en 1846 contient une clause qui permet de soumettre au peuple la question d’un renouvellement du grand-conseil avant la fin de la période légale de son pouvoir, qui est de quatre ans, si huit mille électeurs le demandent. C’est par application de cette belle clause constitutionnelle, après que le parti radical a eu ramassé le nombre voulu de signatures, que la question de la révocation du grand-conseil a dû être soumise au peuple bernois. Ainsi voilà un pays où quelque chose comme un vingtième du corps électoral peut, selon son caprice, suspendre toutes les affaires, paralyser l’industrie et le commerce, et tenir toute une population dans une crise qui peut à chaque instant dégénérer en révolution. Le parti radical, au reste, n’a fait qu’aller au-devant d’une défaite. C’est tout récemment qu’a eu lieu le vote, et le maintien du grand-conseil a été prononcé à une majorité de sept mille voix par le peuple. C’est évidemment un succès remarquable pour le parti conservateur bernois, et il n’est point surprenant que le grand-conseil songe aujourd’hui à mettre à profit cette force nouvelle qu’il vient de recevoir de la consécration populaire. La défaite de la démagogie bernoise est d’autant plus importante, que le mouvement radical n’eût point tardé à s’étendre aux