Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peelites et lord Palmerston ; de l’autre, elle pulvérise le parti whig et hâte sa mort, qui ne peut être que prochaine, à moins d’événemens inattendus. Ce parti, si long-temps puissant, va peut-être avant peu, au parlement et dans le pays, passer à l’état de coterie ou de secte ; ce parti aristocratique, naguère si exclusif et si impérieux, va se voir réduit à se perdre au sein du parti radical. Lord John Russell l’aura voulu par son opposition étourdie, par sa témérité et ses singulières illusions. En vérité, on ne peut expliquer ses dernières manœuvres que par une hallucination et une crédulité dont on trouverait peu d’exemples. Que lord John Russell regrette le pouvoir qui lui a échappé, cela se conçoit sans peine ; mais que l’homme qui n’a pu, pendant tout son gouvernement, parvenir à constituer une majorité homogène, se croie assez fort pour ressaisir le pouvoir, que le représentant qui n’est pas sûr de sa réélection se croie assez sûr de l’assentiment du pays pour chercher à renverser un gouvernement nécessaire et qu’on ne pourrait remplacer immédiatement, voilà ce qui est inexcusable chez un homme d’état qui n’est ni un tribun, ni un révolutionnaire. Que lord John Russell diffère d’opinion sur certains points du bill de la milice avec le gouvernement, rien n’est plus explicable ; mais que l’homme politique qui a reconnu sous son administration la nécessité d’un tel bill, qui en a présenté un lui-même sur les mêmes matières, qui, il y a quelques semaines à peine, faisait publiquement à la tribune l’éloge du bill présenté par le ministre actuel de l’intérieur, M. Walpole, — ait changé subitement d’opinion, soit venu établir que les moyens actuels de défense de l’Angleterre sont suffisans, ait appuyé l’amendement de sir Lacy Evans, qui demandait l’ajournement de la seconde lecture du bill à six mois, voilà qui est tout-à-fait inexplicable. Il n’y a pas seulement dans ces manœuvres de la déloyauté et une opposition factieuse ; il y a encore une inhabileté profonde. Si les moyens de défense de l’Angleterre sont suffisans, si l’Angleterre peut mettre sur pied avec les élémens de force qu’elle a actuellement sous la main une armée de cent mille, ou même, comme l’a prétendu M. Rich, de deux cent mille hommes en quelques semaines, pourquoi lord John Russell avait-il présenté lui-même un bill sur la milice, et quel nom donner alors à la comédie qu’il a jouée ? La majorité formidable qui a voté la seconde lecture du bill a été la punition de lord John Russell. Il se croyait sûr du succès, et depuis quelques jours les organes du parti whig annonçaient que l’ex-premier ministre allait prendre sa revanche de sa défaite passée sur le nouveau bill de la milice. Vaine espérance ! Lord Palmerston était encore là, poursuivant sa vengeance, neutralisant l’opposition de lord John Russell, après l’avoir renversé du pouvoir. Tous les reproches qu’on était en droit d’adresser à lord John Russell, lord Palmerston les lui a adressés, et son discours a été sans doute pour beaucoup dans l’insuccès de son ancien collègue. Il y a quelques mois à peine, lord Palmerston était l’homme le plus incriminé de l’Angleterre, ses collègues l’avaient banni de leur conseil en châtiment de ses violences ; aujourd’hui lord John Russell prouve qu’il aurait besoin lui-même de prendre des leçons de modération, et qu’il n’était peut-être pas en droit d’en donner aux autres. Sa conduite a deux résultats auxquels il ne visait probablement pas elle achève de tuer le parti whig, et elle amnistie lord Palmerston.

Une mission diplomatique française part en ce moment pour Buenos-Ayres ; elle eût été assez empêchée d’agir et de négocier tant que la lutte était flagrante