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amis, tantôt de documens qui m’ont été communiqués, mais n’avançant jamais rien sans l’avoir vérifié par moi-même. »

Si nous ne vous suivons point dans votre dissertation au sujet des traces d’estampilles signalées par nous sur divers volumes ayant appartenu à M. Libri, c’est que vous ne connaissez point les pièces dont vous parlez, tandis que nous, monsieur, nous les avons vues et examinées avec la plus scrupuleuse attention. Elles sont d’ailleurs au greffe, où on les retrouvera au besoin. Vous pouvez toutefois aller voir à la Bibliothèque nationale, à laquelle il appartient aujourd’hui, un Orlando furioso qui, à la vente de M. Libri, a été adjugé 1,480 fr. Ce précieux volume, dont vous n’avez point parlé, porte sur la première page la trace de l’une des estampilles de la Mazarine[1].

On a fait grand bruit d’une découverte qui a eu lieu l’année dernière à la Mazarine, où l’on a retrouvé quelques volumes dont la soustraction était imputée à M. Libri. Cela peut être en effet une erreur commise dans l’instruction ; mais on ne saurait en accuser ni les magistrats ni les experts. Quand nous nous sommes livrés dans les bibliothèques au travail qui nous a attiré de votre part tant d’injustes critiques, voici comment nous avons procédé : nous examinions à la fois le catalogue de la bibliothèque et celui de la vente de livres faite en 1847 par M. Libri, et lorsque le même ouvrage était indiqué sur les deux catalogues, nous le faisions rechercher par les employés que l’on avait bien voulu mettre à notre disposition ; car jamais nous n’avons touché nous-mêmes aux armoires ni aux rayons. Nous avons dû regarder comme définitivement absens les livres que l’on n’avait pu nous représenter après de minutieuses investigations. Aujourd’hui, sur soixante-deux pièces perdues par la Mazarine, et signalées par l’acte d’accusation, cinq, dit-on, ont été retrouvées. Nous le croyons ; mais l’une d’elles (le Pamphilo Sasso) était certainement en double à la bibliothèque, car l’une des estampilles de cet établissement se voit encore fort distinctement sur un exemplaire saisi au domicile de M. Libri. L’existence de doubles exemplaires d’un même ouvrage non inscrits aux catalogues nous semble d’ailleurs confirmée par un fait dont vous parlez (p. 315). D’après vous et M. Jubinal, le British museum posséderait depuis 1827 un exemplaire de l’Origine des Proverbes, portant encore l’estampille de la Mazarine. Nous ne pouvons vérifier cette assertion ; mais ce que nous savons, c’est que cette bibliothèque en possédait, il y a neuf ans, un autre exemplaire inscrit avec le numéro 412 sur un catalogue rédigé de 1843 à 1845. L’exemplaire vendu par M. Libri, au prix élevé de 575 francs, est au greffe ; il porte sur le titre la trace d’une grande estampille circulaire. À la dernière page, point d’estampille, il est vrai, mais un trou circulaire qui a été fort artistement bouché avec du papier[2]. Les volumes retrouvés

  1. Ce livre a été de la part de M. Libri l’objet d’altérations décrites ainsi par l’acte d’accusation : « Un Orlando furioso était signalé en ces termes par le catalogue de Libri : « Ce magnifique exemplaire, absolument neuf, dont les marges n’ont pas « même été ébarbées, de cette édition rarissime… » Les marges, au premier aspect, semblaient en effet être demeurées intactes ; mais cette précieuse qualité n’était qu’apparente : un témoin, laissé par mégarde, révélait la largeur primitive des marges anciennement rognées et la supercherie à laquelle on avait eu recours. »
  2. Voyez dans l’acte d’accusation la déposition d’un conservateur de. la Mazarine, lequel rapporte avoir souvent trouvé M. Libri montant aux échelles, fouillant dans les salles secrètes où ne pénètre jamais le public et où sont conservés les ouvrages les plus précieux, les doubles et autres documens qui ne doivent plus figurer sur les rayons.