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n’y ajoutoit aucune des affectations dont les femmes ont accoutumé de se servir. » Mme de Motteville s’exprime ainsi[1] : « Parmi les princesses, celle qui en étoit la première avoit aussi le plus de beauté, et sans jeunesse elle causoit encore de l’admiration à ceux qui la voyoient. . Je veux servir de témoin que sa beauté étoit encore grande quand, dans mon enfance, j’étois à la cour, et qu’elle a duré jusqu’à la fin de sa vie. Nous lui avons donné des louanges pendant la régence de la reine, à cinquante ans passés, et des louanges sans flatterie. Elle étoit blonde et blanche ; elle avoit les yeux bleus et parfaitement beaux. Sa mine étoit haute et pleine de majesté, et toute sa personne, dont les manières étaient agréables, plaisoit toujours, excepté quand elle s’y opposoit elle-même par une fierté rude et pleine d’aigreur contre ceux qui osoient lui déplaire. » Lorsqu’elle parut à quinze ans à la cour d’Henri IV, elle tourna la tête au vieux roi. Il la maria à son neveu le prince de Condé, avec l’arrière espérance de le trouver un mari commode ; mais celui-ci, fier et amoureux, entendit bien avoir épousé pour lui-même la belle Charlotte ; et, voyant le roi s’enflammer de plus en plus, il ne trouva d’autre moyen de se tirer de ce pas difficile que d’enlever sa femme et de s’enfuir avec elle à Bruxelles. On sait toutes les folies que fit alors Henri IV et à quelles extrémités il s’allait porter quand il fut assassiné en 1610.

Henri de Bourbon, prince de Condé, n’était point un homme ordinaire. Il devait beaucoup à Henri IV, et il en attendait beaucoup ; mais il eut le courage de mettre en péril l’avenir de sa maison en s’exilant volontairement et plus tard il se compromit de nouveau par sa résistance à la tyrannie sans gloire du maréchal d’Ancre, sous la régence. de Marie de Médicis. Arrêté en 1616, il ne sortit de prison qu’à la fin de 1619, et dès-lors il ne songea plus qu’à sa fortune. Né protestant, il avait embrassé le catholicisme par politique, à l’exemple d’Henri IV. Sa femme lui avait apporté une grande partie des immenses richesses des Montmorency. Il se soumit à Luynes et servit Richelieu. Il força son fils, le duc d’Enghien, à épouser une nièce du tout-puissant cardinal, qui venait de faire décapiter son beau-frère. Aussi avare qu’ambitieux ; il amassait du bien, il entassait des honneurs. À la mort de Richelieu, il devint le chef d u conseil, et déploya dans cette conjoncture difficile un heureux mélange de prudence et de fermeté. Il soutint la régence d’Anne d’Autriche et sauva la France des premiers périls de la longue minorité de Louis XIV. Il mérite une place dans la reconnaissance ; de la patrie pour lui avoir donné en quelque sorte deux fois le grand Condé en imposant à cette nature de feu, et toute, faite pour la guerre, la plus forte éducation militaire que jamais prince

  1. Mémoires, t. Ier de l’édit d’Amsterdam, 1750, p. 44.