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littéraires tenant le milieu entre les cours publics et les conversations intimes, et destinées spécialement aux dames et aux demoiselles de Boston. Dans ces conférences étaient traités les sujets les plus élevés et les questions les plus intéressantes de la religion, de la philosophie et de l’art. Chacune des assistantes pouvait prendre la parole, exposer ses doutes, ses propres pensées sur les sujets en discussion ; Marguerite y jouait le double rôle d’initiateur et de révélateur : c’était elle qui mettait en avant les thèmes et sujets sur lesquels devait rouler la conversation, elle qui intervenait pour lever les doutes et pour résoudre les questions en litige. Ses jugemens étaient toujours des arrêts ; lorsqu’elle avait parlé, la difficulté n’existait plus : le maître avait dit. Vingt-cinq dames assemblées dans les salons de miss Peabody composèrent d’abord le personnel de ces conférences ; plus tard, le nombre monta jusqu’à trente. Les règlemens, qui interdisaient aux hommes l’entrée de ces réunions, furent moins rigoureusement observés, et peu à peu les frères, les époux et les amis furent admis à venir quelquefois mêler leurs opinions à celles de leurs sœurs ou de leurs femmes. Ces soirées littéraires, qui avaient lieu une fois par semaine, durèrent six années entières, depuis 1839 jusqu’en 1844, époque où Marguerite alla résider à New-York. Rien ne ressemble davantage aux conversations de l’hôtel de Rambouillet ; la carte du Tendre, l’analyse des sentimens amoureux, la chasteté alambiquée, la candeur précieuse, la naïveté pédagogique, l’alexandrinisme porté dans les affections humaines et dans les relations de la vie, tous ces défauts de l’hôtel de Rambouillet se trouvent dans les salons de miss Peabody sous une autre forme, sous la forme possible au XIXe siècle. Tout tourne à la philosophie symbolique, comme à l’hôtel de Rambouillet tout tournait à l’analyse des sentimens. mous avons la philosophie de la danse au lieu de la philosophie des billets doux ; enfin, au lieu d’avoir, comme au XVIIe siècle, le commentaire du Banquet de Platon, nous avons ici le commentaire du Timée du même philosophe. La création et ses lois sont appréciées comme l’amour platonique était apprécié par Mlle de Scudéry. Tout se passe des deux côtés, dernière ressemblance, avec discrétion, réserve, pruderie et honnêteté parfaite. À ce point de vue, Marguerite nous apparaît comme une Julie d’Angennes américaine, et sous la forme que peut revêtir une Julie d’Angennes dans le siècle qui a produit lady Stanhope, George Sand et Bettina. Ces conversations sont tout simplement bizarres ; mais elles sont curieuses en ce que la nature de la femme s’y révèle toujours au milieu des élucubrations pédantesques ; on y discute des questions familières à la femme, des questions de danse et de maintien, et, si nous osons parler ainsi, des chiffons philosophiques. Ainsi nous avons l’esthétique de toutes les danses connues depuis la gavotte jusqu’au fandango, et, lorsque