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je fus avec elle sans lui pouvoir dire une parole… Le temps m’a fait connoitre dans la suite le bonheur dont elle jouissoit. »

Mlle d’Épernon entra aux Carmélites à vingt-cinq ans, et y parcourut une longue carrière de pénitence et d’édification. Née en 1624, elle mourut en 1701, à l’âge de soixante-dix-sept ans, en avant passé cinquante-trois dans le monastère de la rue Saint-Jacques. Elle y a voulu vivre de la vie cachée d’une carmélite ; elle n’a jamais exercé aucune charge et n’a pas même été sous-prieure[1]

  1. Il faut voir dans l’abbé Montis la vive résistance que Mlle d’Épernon eut à vaincre de la part de son frère, le duc de Candalle, surtout de la part de son père, qui en appela au parlement et au pape, la mort imprévue du duc de Candalle, ses restes apportés aux Carmélites, la conversion du duc d’Épernon par les soins de sa fille, les plus beaux traits de sa vie et la sainteté de sa mort. Elle fut une des bienfaitrices du couvent. (Histoire manuscrite et inédite, t. Ier, p. 558) : « Les dons que fit Anne-Marie de Jésus montèrent à plus de cent cinquante mille livres. Outre cette somme prodigieuse, M. le duc d’Épernon, son père, mort en l’année 1661, se trouvant sans héritiers, donna icy par son testament cent mille livres sur les seize cent mille qu’il laissoit en legz pieux, sans néanmoins parler de sa fille, mais en considération de la demande qu’il fit que son cœur y fût inhumé, celuy du duc de Candalle, son fils, mort en 1658, y estant déjà, afin que l’on fit quelques services et prières pour le repos de leurs ames. Ce seigneur avoit déjà assigné à la maison, la vie durant de notre très honorée sœur Anne-Marie, trois mille livres de pension, trouvant que les soixante mille livres qui estoient regardées comme sa dot estoient une somme trop modique et bonne seulement pour doter une demoiselle qui l’avoir suivie. » La demoiselle dont il est ici question, et dont parle aussi Mademoiselle, se nommait Bouchereau. « Étant, dit l’abbé de Montis (p. 34) d’une figure agréable, elle s’occupa pendant quelques années d’un bien aussi fragile ;… mais plus tard elle revint à la piété, et, désirant se faire religieuse et conjecturant les vues de Mlle d’Épernon, elle lui ouvrit son cœur, et la conjura de l’emmener avec elle, ce qui fut aisément accordé. » Mlle Bouchereau mourut pendant son noviciat avant d’avoir fait profession. C’est, par erreur que, sur la foi de l’abbé Montis, dans la vie abrégée de la mère Agnès jointe à celle de Mlle d’Épernon, p. 291, le savant éditeur des ouvres de Bossuet suppose, t. XXXIV, p. 690, que la belle lettre sur la mère Agnès est adressée à « Mme d’Épernon, prieure des carmélites du faubourg Saint-Jacques, » car Mlle d’Épernon, c’est ainsi qu’il la faut appeler, et non pas Mme d’Épernon, n’a jamais été prieure. Bossuet écrivit à la prieure qui succéda à la mère Agnès, soit la mère Claire du Saint-Sacrement, morte au début de sa charge, soit plutôt celle qui la remplaça presque immédiatement, c’est-à-dire la mère Marie du Saint-Sacrement, dans le monde Mme de La Thuillerie, qui fit ses vœux en 1654, fut prieure de 1691 à 1700, et mourut en 1705. Nos manuscrits contiennent plusieurs copies anciennes de la lettre de Bossuet qui ont toutes la suscription : A la mère du Saint-Sacrement.
    La sœur Anne-Marie avait écrit une foule de lettres que l’abbé Montis a eues entre les mains, et dont il donne des extraits. Toutes ces lettres sont perdues, ou du moins elles ne sont plus aux Carmélites. Nous en avons retrouvé un certain nombre adressées à Mme la marquise d’Huxelles, qui, sans contenir rien de fort remarquable, ne seraient point indignes de voir le jour. On les peut voir au t. III des Lettres originales du fonds de Gaignières, à la Bibliothèque nationale et dans un manuscrit de l’Arsenal, Belles-Lettres, n° 369.
    En 1680, Mme de Sévigné, accompagnant Mademoiselle aux Carmélites, y revit Mlle d’Épernon et la trouva bien changée (lettre du 5 janvier 1680, édit. Montmerqué,