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énergie patiente ni assujettissement, — l’entretien d’immenses troupeaux par exemple. C’est à peine si un progrès commence à se faire jour dans quelques-unes de ces républiques les plus favorisées. On soit combien, à mesure qu’elles se dérouleraient, ces questions, qui touchent aux conditions morales et matérielles de l’Amérique du Sud, prendraient un tout autre caractère qu’en Europe. Déjà, dès 1823, ces questions se présentaient à l’esprit d’un des hommes les plus éminens du Pérou, — Monteagudo, — qui, banni au lendemain de l’indépendance, publiait à Quito un rare et curieux mémoire[1]. Monteagudo avait à se défendre d’avoir peu favorisé, comme ministre péruvien, le progrès des idées démocratiques, et il se fondait sur l’incompatibilité de ces idées avec le degré de civilisation et l’état moral du pays aussi bien qu’avec sa situation économique. Le ministre disgracié du Pérou, dans ces pages peu connues et dignes de rester présentes aux intelligences politiques de l’Amérique du Sud, touchait à la racine même du problème des destinées du Nouveau-Monde. C’est le problème qui s’agite encore aujourd’hui dans des conditions aggravées par l’effervescence croissante des esprits et par le retentissement des récentes révolutions européennes.

Si les idées démocratiques et le socialisme sont absolument sans rapport avec le fonds réel des sociétés américaines, comment donc expliquer ce redoublement d’intensité avec lequel ces idées sévissent aujourd’hui dans le Nouveau-Monde ? Il s’explique par un phénomène propre aux populations éclairées de ce pays. Ce n’est point par le développement moral, par l’effort de l’activité humaine appliquée au travail que ces populations cherchent la civilisation, c’est par une impulsion purement intellectuelle. Si peu qu’on ait eu l’occasion d’observer quelques-uns des représentans de cette race hispano-américaine, on n’aura pu s’empêcher de remarquer en eux une singulière vivacité d’esprit, une promptitude extrême à tout saisir et à tout comprendre, une rare intelligence en un mot, — et, comme chez toutes les races méridionales, qui procèdent souvent par l’imagination plutôt que par une expérimentation propre, cette intelligence devient facilement imitative. Les Hispano-Américains n’imitent pas seulement par circonstance, par une sorte de nécessité résultant d’une émancipation prématurée ; ils imitent par instinct, par nature. Un invincible penchant les pousse à reproduire tout ce qui se fait dans le vieux monde, et ce qui apparaît parmi nous de plus extrême, de plus excentrique, est aussi ce qui a le plus de chances d’enflammer ces imaginations sans défense. L’esprit d’imitation gouverne la vie publique de ces contrées ; il fait des diplomates très instruits sur les principes de l’équilibre européen, des hommes

  1. Memoria sobre los principios politicos que segui en la administracion del Peru, y acontecimientos : posteriores a mi separacion. — Reimpreso en Santiago de Chile. 1823.