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d’état merveilleusement versés dans les secrets de nos organisations politiques, des publicistes qui n’ignorent aucun des artifices de nos systèmes et de nos discussions, qui ont tout l’extérieur du talent sans en avoir l’originalité ; il constitue l’essence d’une civilisation intellectuelle plus superficielle que profonde, et qui n’a réussi à se manifester jusqu’ici que par une littérature de brochures et de journaux où tourbillonnent sans choix, sans mesure, sans discernement toutes les influences, toutes les réminiscences de l’Europe. M. Frias ne cache point ces tendances dominantes dans les républiques du sud. L’auteur néo-grenadin d’un opuscule récent sur le régime en vigueur à Bogota, — Ojeada sobre la administracion del siete de marzo, — n’en défend point son pays. « Les Grenadins, dit-il, comme les autres Hispano-Américains, reçoivent toutes leurs opinions et leurs idées des livres français. Ces états réfléchissent, pour ainsi dire, comme autant de fragmens d’un miroir brisé, les lumières bienfaisantes qui brillent en France et la flamme sinistre des torches incendiaires qui consternent ce pays » Le premier fruit de l’esprit d’imitation en Amérique a été le règne de cette génération libérale et démocratique du lendemain de l’indépendance dont les unitaires argentins sont restés le type le plus achevé : race merveilleuse par son aptitude intellectuelle et son incapacité pratique, qui rédigeait des symboles constitutionnels, mêlait dans ses adorations Montesquieu et Rousseau, appliquait les théories d’Adam Smith, traduisait en lois et en décrets toutes les idées du XVIIIe siècle, sans paraître soupçonner que ces spéculations n’étaient autre chose que la chimère d’esprits fascinés par l’exemple du vieux monde et ne servaient qu’à construire un édifice en l’air. Le progrès, le prétendu progrès suit son cours ; les idées démocratiques deviennent le socialisme en Europe : — c’est le socialisme, à son tour, qui a son jour et son heure dans le Nouveau-Monde. Les projets de constitutions se modèlent sur les plans des sectaires de France ; les clubs vont se naturaliser dans les bourgades américaines. Il y a des Christophe Colomb de la liberté illimitée et des pontifes de la fraternité universelle. Fictions politiques, fictions littéraires exercent là-bas leur despotique empire et passent dans la circulation avec une désastreuse facilité. C’est toujours le même puéril effort d’imitation. De là le caractère artificiel qui se fait remarquer dans l’ensemble de la vie américaine, dans les chocs des partis, dans le jeu des institutions. De là un contraste permanent entre le mouvement intellectuel d’où émane exclusivement tout ce qui est tentative de transformation politique ou sociale et la réalité pratique. On proclame théoriquement le droit, la souveraineté des multitudes, et, au premier coup de tocsin de la guerre civile, chacun, retournant à ses coutumes, va faire la presse des Indiens et les marque au besoin pour qu’ils ne désertent pas. On songe à donner une couronne au souverain, suivant une piquante expression,