Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

officielle ; nous ne voulons pas d’une hiérarchie ecclésiastique qui est la négation de la souveraineté populaire. La liberté des cultes, au lieu d’être une issue sagement ouverte aux populations étrangères réellement laborieuses et attachées à leur religion, devient le passe-port du mépris et des outrages officiels déversés sur le catholicisme. Bizarres esprits qui s’emploient le plus stérilement du monde à tout saccager autour d’eux au lieu de tout coordonner, à se faire novateurs, philosophes humanitaires, proscripteurs de leurs traditions nationales, apôtres de toutes les fantaisies, par mode, par passe-temps, uniquement pour paraître libres, pour n’avoir point l’air de reconnaître des religions d’état et d’être du passé ! Il n’y a qu’une difficulté légère : c’est que ce passé subsiste partout avec ses conditions, ses vieux levains, ses barbaries et ses incohérences. Essayez de la philosophie humanitaire ou non et des moyens administratifs sur cet ensemble rebelle, ce sera risible. Les prédications révolutionnaires produiront sur les masses l’effet des liqueurs fortes avec lesquelles les premiers conquérans abrutissaient souvent les populations indigènes. Les moyens administratifs réussiront à aligner un jour par semaine les pauvres Cholos en file serrée, le corps demi-nu, la tête coiffée d’un chapeau de paille et le fusil au côté. Le christianisme, le catholicisme seul, dirons-nous, peut former ou ébaucher des sociétés avec ces élémens épars et discordans. Le protestantisme lui-même n’y pourrait rien. En dehors de toute question de dogme en effet, à un point de vue humain, le protestantisme est la religion des races qui ont un vigoureux ressort individuel : on a vu ce que le puritanisme a fait pendant trois siècles dans l’Amérique du Nord ; mais c’est justement ce ressort individuel qui manque aux races de l’Amérique du Sud. Il ne faut pas long-temps fixer son regard sur ces contrées pour reconnaître qu’une religion d’autorité seule peut amener à la vie morale et plier aux premières conditions de la civilisation ces races indifférentes et inactives, qui ont besoin en quelque sorte d’être prises par la main, d’être dirigées, transformées et élevées au niveau d’une sociabilité meilleure. Là où nulle organisation civile ne peut atteindre, le missionnaire arrive ; il dépose un germe d’association, crée des établissemens, groupe des populations nomades et les assujettit à la vie réglée.

Un des plus récens voyageurs dans l’Amérique du Sud, M. de Castelnau, raconte qu’en descendant le Tocantin, il s’est trouvé jeté au milieu d’un village sorti de la veille du désert, celui de Boa-Vista. Quelques années avant, ce village n’existait pas ; en ce moment, il réunissait deux ou trois cents maisons et quinze cents ames. L’église était en paille comme les maisons ; déjà cependant on travaillait la pierre pour des constructions nouvelles. Une grande régularité de mœurs régnait à Boa-Vista. Quel était le créateur de ce village ? C’était un pauvre moine