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et, pour peu que cette fièvre de gain continue, il sera bientôt impossible de distinguer l’art de l’industrie.

Je sais que l’expression de la beauté compte encore de fervens adorateurs : je connais des peintres, des sculpteurs, sévères pour eux-mêmes, qui s’efforcent de produire des œuvres durables ; mais il serait trop facile de les compter. Quant au plus grand nombre, on m’accordera sans peine qu’ils ne songent guère à la renommée. Or n’y a-t-il aucun moyen de réveiller l’émulation, de substituer à l’ardeur industrielle une ardeur plus généreuse ? Il suffirait, à mon avis, pour rendre aux expositions la meilleure partie de leur importance, de les séparer l’une de l’autre par un plus long intervalle. Si l’on choisissait le terme de deux ans, j’aime à penser que nous verrions rentrer dans la lice ceux mêmes qui ont déjà obtenu de nombreux applaudissemens. Dès qu’ils sentiraient le réveil de l’émulation dans la génération nouvelle, ils quitteraient leur retraite pour lui disputer la popularité. Chacun alors se présenterait au salon, je ne dis pas avec une œuvre accomplie, mais du moins avec une œuvre capable de soutenir la discussion. Les vieilles renommées défendraient pied à pied le terrain que les renommées nouvelles essaieraient d’envahir. L’industrie de la peinture, si florissante aujourd’hui, languirait peut-être, mais l’art se relèverait. Et n’est-ce pas ce que le public désire, ce que l’administration doit se proposer ? On m’objectera peut-être les plaintes proférées sous la restauration : je répondrai que ces plaintes ne s’adressaient pas tant à la rareté qu’à l’incertitude des expositions, car souvent l’intervalle s’étendait jusqu’à cinq ans. Dès que les artistes seraient assurés de pouvoir, tous les deux ans, produire en public l’œuvre qu’ils auraient achevée, ils n’auraient plus le droit de se plaindre.

Pour obvier aux dangers des expositions annuelles, l’administration a pris cette année une mesure très sage : elle a limité à trois le nombre des tableaux que chaque peintre pourrait envoyer. C’est à coup sûr un grand pas de fait dans la voie de la réforme ; toutefois je ne pense pas que cette mesure suffise pour réveiller l’émulation. Les médailles d’or et d’argent, excellentes en elles-mêmes, n’auront une véritable importance que le jour où le salon cessera d’être un bazar pour se transformer en arène, et cette transformation ne pourra s’accomplir tant que le salon reviendra tous les ans. Comme il faut que chacun vive de sa profession, les peintres emploient neuf mois de l’année à travailler pour les amateurs, et quand le salon approche, alors ils se hâtent de composer une œuvre quelque peu sérieuse ; mais ils ont beau redoubler de zèle, se lever avec l’aube et n’abandonner le pinceau qu’au moment où le soleil disparaît : le temps leur manque pour méditer, pour concevoir, pour achever. Si le salon ne revenait que tous les deux ans, les artistes vraiment dignes de ce nom, qui n’ont pas fait de leur