Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présenté cette année trois mille tableaux, le jury en a exclu treize cents ; si tous les juges eussent été purement électifs, personne n’eût songé à se plaindre. La composition du jury, telle qu’elle a été arrêtée par l’administration, a suffi, je ne dis pas pour donner raison, mais du moins pour donner un prétexte plausible à tous les reproches. Il est possible en effet que les amateurs choisis par l’administration soient parfaitement éclairés, il est possible qu’ils aient rendu des jugemens parfaitement justes ; mais le jury n’en reste pas moins pour la foule un sujet de défiance : les juges qui ont rendu cet arrêt étaient-ils parfaitement libres ? n’étaient-ils enchaînés par aucun préjugé ? Toutes ces objections, qui, soumises à une analyse sévère, pourraient se réduire à néant, gardent un caractère sérieux, parce que les élémens de discussion ne sont pas à la disposition du public. Ainsi, lors même que le jury aurait cent fois raison, l’opinion générale ne l’amnistie pas. Ne serait-il pas plus sage de mettre l’opinion de son côté ? Personne, je l’espère, ne voudra soutenir l’avis contraire. Puis dans cette question, qui semble si vulgaire et si peu digne d’attention aux esprits frivoles, se trouve engagée une question plus délicate : tous ceux qui précédemment étaient dispensés de subir l’épreuve du jury se trouvent par le nouveau règlement soumis à cette épreuve, et je conçois très bien qu’ils restent sous leur tente, au lieu de se soumettre à la clairvoyance incertaine d’un jury composé d’élémens aussi divers. S’il est vrai que les amateurs peuvent posséder sur la peinture des notions assez précises, il n’est pas moins vrai que les peintres possèdent seuls des notions techniques étrangères à tous les préjugés d’école. Or voilà précisément ce que l’administration a méconnu. En formant la majorité avec des amateurs, elle a mis l’opinion publique en défiance, et c’est à mes yeux une faute regrettable, car les jugemens qui soulèvent aujourd’hui tant d’objections passeraient inaperçus, s’ils eussent été rendus par un jury purement électif.

J’avais entendu parler avec admiration d’un tableau de M. Courbet qui devait fermer la bouche à tous ses détracteurs, et je souhaitais de grand cœur que l’enthousiasme de l’amitié se trouvât d’accord avec le bon sens ; car, tout en reconnaissant ce qu’il y avait d’exagéré dans les éloges prodigués à l’auteur d’un Enterrement à Ornans, il était impossible de nier la puissance de réalité qu’il avait su donner à ses personnages. Toutes les figures étaient laides, personne n’oserait le nier ; mais ces figures vivaient, et ce mérite n’est pas assez vulgaire pour qu’on n’en tienne pas compte. J’espérais donc que M. Courbet, corrigé par les remontrances de la foule aussi bien que par les conseils des hommes éclairés, aurait consenti à tempérer quelque peu sa prédilection pour la laideur. Malheureusement il n’a tenu compte ni des remontrances ni des conseils, il est demeuré ce qu’il était. Il a gardé l’habileté qu’il