Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous, et que le but de toute doctrine devrait être simplement de rendre plus nombreuses, plus fréquentes, et en un mot plus universelles, ces attractions et ces influences morales réciproques. « C’est à une constellation, et non à une phalange, observe-t-elle, que je voudrais appartenir… Pourquoi s’enchaîner à une doctrine, à quelque doctrine que ce soit ? Comme un homme nous apparaît plus noble, lorsqu’il est entièrement libre de toutes ces chaînes ! L’association peut être la grande expérience du siècle, mais ce n’est après tout qu’une expérience ; il ne vaut pas la peine de lui donner trop d’importance. Essayons-la, conseillons aux autres de l’essayer, et c’est assez. »

Sur le rôle de la femme, elle a des idées exagérées, mais qui cependant ne manquent quelquefois pas de justesse. Ainsi elle fait remarquer que l’éducation moderne des femmes est restée complètement stérile, qu’elle est même corruptrice, et elle en donne très bien les raisons. On enseigne aujourd’hui aux femmes tout ce qu’on enseigne aux hommes, et cependant, avec toute leur éducation, il arrive que, lorsque nos femmes modernes entrent dans la vie, elles se trouvent inférieures en bon sens à leurs grand’-mères, qui n’avaient jamais appris qu’à filer au rouet. La raison en est très simple : c’est que les hommes sont tenus par leur profession et leur vie à reproduire ce qu’ils ont appris, tandis que les femmes sont condamnées au contraire à l’immobilité morale la plus complète. Il y a évidemment disproportion entre l’éducation moderne des femmes et le rôle qu’elles ont à jouer dans la société. Les conclusions que Marguerite tire de là sont faciles à deviner, et nous ne la suivrons pas dans ses ambitions et ses espérances novatrices ; mais la raison sur laquelle elle se fonde est, hélas ! trop vraie. Même alors qu’elle défend son sexe avec le plus d’ardeur, il y a dans ses paroles je ne sais quel accent qui la ferait prendre, si l’on n’était averti, pour une quakeresse excentrique, et qui la sépare entièrement des femmes libres de notre Europe. Ardente à soulager les infortunes des personnes de son sexe dont le vice et la misère avaient fait leur proie, autant et plus qu’à revendiquer une plus complète égalité dans les relations de l’homme et de la femme, elle nous apparaît presque comme une sœur égarée d’Élisabeth Fry. Pendant tout son séjour à New-York, une de ses grandes occupations était d’aller visiter, avec d’autres dames charitables, les prisonnières de Sing-sing. Là elle remplit auprès d’elles les rôles les plus humbles, écoute leurs révélations, et s’efforce de faire pénétrer dans leurs cœurs quelques rayons de religion ; d’y éveiller quelques espérances en y faisant naître le remords. Là encore ses qualités de dominatrice l’accompagnent ; elle garde son sang-froid, sa présence d’esprit, son inaltérable et imperturbable fierté, qui lui servent à vaincre l’endurcissement des créatures dégénérées.