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talent de M. Gosse mérite une mention toute spéciale. Jamais en effet ni la Genèse, ni la vie de l’Éden n’ont été offertes à nos regards dans des conditions plus grotesques, et pourtant, parmi les visiteurs du Palais-Royal, il se rencontre un grand nombre d’esprits disposés à louer M. Gosse comme le fidèle interprète de la beauté biblique. À quoi faut-il attribuer une si grossière méprise ? Est-ce que le bon sens aurait abandonné la foule ? Je ne le pense pas, car en mainte occasion la foule fait preuve de bon sens ; mais la beauté biblique, en raison même de sa simplicité, exige un culte fervent pour se laisser pénétrer. Or les œuvres populaires aujourd’hui sont tellement dépourvues de ce caractère, qu’il faut, pour comprendre la beauté biblique, réagir violemment contre le courant général des idées. Voilà comment je m’explique l’engouement de la foule pour les tableaux de M. Gosse. Égarée par les œuvres sans nom qui lui sont offertes chaque jour, elle ne distingue pas l’afféterie de la simplicité, et prend M. Gosse pour l’héritier, pour le rival de Nicolas Poussin. Il est bon, il est sage de dessiller les yeux de la multitude ; il ne faut pas qu’une peinture digne de Florian ou de Berquin soit classée parmi les chefs-d’œuvre de l’art. Il ne faut pas que des figures blanches et roses, dont pas une n’est modelée, prennent rang parmi les créations les plus importantes du génie humain. Quiconque prendra la peine de relire Moïse et Milton concevra sans effort tout ce qu’il y a de ridicule dans la composition de M. Gosse. Quant à ceux qui ne connaissent ni Milton ni Moïse, je n’ai pas à m’occuper d’eux, car ils ne sont pas compétens. La première condition pour juger si un sujet quelconque, biblique ou païen, est bien ou mal traité, est évidemment de connaître le sujet pris en lui-même. Or le sujet traité par M. Gosse relève du Pentateuque et subsidiairement de Milton ; il est donc évident que, pour le juger, il faut connaître et posséder le Pentateuque et le Paradis perdu. Les figures conçues par M. Gosse sont pétries de crème fouettée et n’ont rien à démêler avec la nature vivante. Adam et Ève, si séduisans, si beaux pour ceux qui ne connaissent ni la Bible ni la réalité, n’offrent aux yeux d’un spectateur éclairé qu’une masse capricieuse, sans solidité, sans harmonie. Si le succès de pareilles compositions pouvait être pris au sérieux, si nous ne savions pas que la foule est aussi prompte à railler qu’à louer, il y aurait lieu à désespérer du goût public. Heureusement les éloges prodigués à M. Gosse par ceux qui aiment avant tout une peinture nette et léchée ne laisseront pas de trace profonde. Ceux qui vantent la Création et la Naissance du Christ ne garderont pas demain le souvenir de leurs louanges. Tous ceux qui aiment la grande et saine peinture peuvent être assurés que les tableaux de M. Gosse, vantés aujourd’hui par les oisifs, seraient honnis demain, s’ils se trouvaient en regard d’une composition puisée dans le même ordre d’idées et traitée dans des conditions