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guéri ou non guéri, je le défie de faire un pas ; les membres sont d’une longueur démesurée, les pieds d’une forme inconnue ; le ton général de cette toile est celui d’un papier peint ; le ciel est d’un bleu cru que mes yeux n’ont jamais aperçu dans les plus chaudes journées de l’Italie, et j’ai peine à croire qu’on le rencontre en Palestine. — M. Paul Flandrin a reproduit habilement les montagnes de la Sabine ; les lignes sont grandes et fidèles. Pourquoi faut-il que la couleur de cette composition soit si terne et si singulière ? La succession des plans est magistralement ordonnée : je retrouve là ces montagnes que l’œil aperçoit sans peine à dix lieues de distance, tant l’air de la campagne romaine est transparent et pur ; mais je ne comprends pas comment M. Paul Flandrin, qui connaît si bien l’Italie, qui a vécu parmi les pâtres de la Sabine, donne à toutes ses compositions un ton gris et blafard dont l’Italie n’offre pas le modèle.

M. Sébastien Cornu a exposé dans la cour de l’École des Beaux-Arts une Vierge consolatrice des affligés qui mérite une attention spéciale. Ce morceau, qui n’a pu être achevé assez tôt pour figurer au salon, est destiné à décorer la façade d’une charmante église construite à Saint-Leu-Taverny par M. Eugène Lacroix. La Vierge, entourée d’affligés qui implorent son intercession, est peinte sur faïence. Ce genre de travail, qui rappelle par l’éclat de la couleur les compositions de Luca della Robbia, remplacera heureusement la mosaïque. L’exécution est très satisfaisante, le dessin d’une grande pureté ; je regrette seulement que M. Cornu ait voulu trop bien faire, et ne soit pas demeuré dans les données de la mosaïque. Si, au lieu de peindre sur faïence comme sur toile et d’étudier les ombres des draperies, il s’en fût tenu aux teintes plates de la mosaïque, sa Vierge consolatrice produirait un effet plus puissant. L’Histoire de la Vierge, exécutée par Cavallini pour Sainte-Marie du Transtevère, nous montre tout ce qu’on peut obtenir par l’emploi des teintes plates. Cette suite de mosaïques, l’une des plus belles qui se voient à Rome, n’offre pas un seul point de ressemblance avec la peinture à l’huile. M. Cornu, qui a vécu long-temps en Italie, tiendra sans doute compte de ses souvenirs, s’il renouvelle la tentative qu’il vient de mener à si bonne fin. Quand il peindra sur faïence, il n’essaiera plus de lutter avec la peinture à l’huile ; en simplifiant son travail, il plaira plus sûrement. Il serait à souhaiter que la Vierge consolatrice exposée à l’École des Beaux-Arts décidât le ministère et le conseil municipal à multiplier les travaux de ce genre. La peinture à la cire, trop vantée depuis quelques années, ne vaudra jamais la mosaïque pour la décoration de nos églises, et comme la mosaïque appliquée aux grands travaux de décoration est de nos jours un art à peu près perdu, je ne dis pas en France seulement, mais en Italie même,