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ne se pouvaient quitter. Tant que le frère a été sur terre, celle-ci ressemblait aux autres enfans du pays ; mais on dirait qu’en partant, l’autre a emporté son esprit dans la fosse. Ah ! Jésus ! si Dona vivait encore, tout me paraîtrait bon, même de mourir !

Une petite larme, la dernière qui dût sortir de ces yeux près de s’éteindre, glissa lentement sur la joue livide. Le gardien du vieux phare parut violemment ému, et sa langue se délia.

— Ne pensez point au passé, Madeleine, dit-il, et reprenez courage. Tout ce que vous me demandez sera fait : je le jure par ma croix ! Un homme ne peut rien dire de plus.

— Aussi me voilà tranquille, mon Simon, reprit la mourante ; à cette heure, la grande angoisse peut venir.

Elle se laissa retomber sur l’oreiller de cendre, et les sifflemens du râle ne tardèrent pas à se faire entendre de nouveau. L’agonisante parla encore quelque temps de Dona et de sa fille ; elle répéta en mots entrecoupés les recommandations déjà faites, mais insensiblement la voix devint plus confuse ; bientôt ce ne fut plus qu’un murmure inarticulé. Les voisines s’étaient approchées et entouraient le lit à genoux ; la pâlotte, accroupie à l’autre bout de la cabane, gardait le silence, mais une contraction convulsive agitait ses lèvres, et des gouttes de sueur perlaient son front. L’agonie se prolongea une partie de la nuit. Enfin, vers le matin, Madeleine sembla se réveiller ; elle appela Dona, puis Georgi, étendit les mains comme si elle eût voulu se rattacher à quelque chose, poussa un long gémissement et expira.

Au mouvement qui se fit autour du lit, la pâlotte s’était redressée ; elle s’élança vers la morte, regarda un instant, puis recula avec un grand cri. Une des voisines lui imposa brusquement silence et la força à s’agenouiller. La vieille femme venait de commencer la prière des morts. Georgi demeura muette sans avoir l’air de comprendre ce qui se faisait ; mais, lorsque l’oraison fut achevée et qu’elle vit les voisines se signer, elle se releva d’un bond, tourna plusieurs fois autour du lit de la morte avec des éclats de rire convulsifs, puis, entonnant d’une voix perçante le chant funèbre qui lui revenait à la mémoire dans toutes ses émotions, elle s’élança hors de la cabane, et disparut au milieu de la nuit.


II

Le surlendemain, Lavau, Merlet et quelques autres voisins se trouvaient réunis dans la cabane de la défunte, tandis que le juge de paix achevait le court inventaire de la succession. Ils avaient été convoqués en conseil de famille pour décider ce que l’on ferait de Georgi et pour lui nommer un tuteur. Ce dernier titre appartenait naturellement au