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« Je suis fatiguée de penser, écrit-elle un jour ; je suis fatiguée de vivre. Oh ! mon Dieu, prends-moi. Tu sais que je n’aime que toi. Toute cette belle poésie de mon être n’a sa vie qu’en toi, je le sens profondément. Père tout-puissant, je suis fatiguée, prends-moi, je t’en conjure ; laisse-moi reposer en toi ; je le dis du plus profond de mon cœur, je souffre beaucoup je succombe faute de repos, et personne ne viendra me secourir, tu le sais. Baigne-moi dans les eaux vivantes de ton amour. » Dans ces interjections répétées, on sent une angoisse sincère et un véritable affaissement. Dans l’espèce de lutte qu’elle avait engagée avec la nature, Marguerite devait être vaincue : elle le fut en effet. Les instincts légitimes du cœur humain avaient été méprisés par elle ; elle croyait, l’orgueilleuse fille, les avoir déracinés pour toujours. Vaine espérance ! ils revinrent plus puissans à l’âge où d’ordinaire ils sont apaisés, ils revinrent en faisant entendre, au lieu de ce murmure et de cette musique par lesquels ils s’annoncent dans les jeunes cœurs, des reproches et des accens de mélancolie. De vagues désirs de maternité se font sentir çà et là dans ses paroles. Être épouse et mère, voilà maintenant le souhait caché qui ne s’exprime qu’avec une discrétion sans égale et qu’il faut deviner. À New-York, auprès d’Horace Greeley, Marguerite trouvait sa plus grande distraction dans les jeux et les caresses de Pickie, l’enfant du rédacteur en chef du New-York Tribune. Elle s’était faite, dit Horace Greeley, le précepteur et le compagnon de Pickie, qui la désignait sous le nom de la tante Marguerite, aunty Margaret. La société qu’elle avait tant aimée, le monde et tous ses triomphes lui répugnaient maintenant. Elle préférait la solitude et n’allait que rarement aux soirées célèbres de miss Lynch, où se rassemblaient les auteurs, les critiques, les artistes et les dilettanti célèbres de New-York. D’ailleurs, à cette époque, son prestige, semblerait-il, commençait à décroître, soit sous l’influence de l’âge et du chagrin, soit sous l’influence de ces sentimens nouveaux pour elle, éveillés tardivement dans son sein. Plusieurs fois, elle sortit de ces réunions blessée par quelque sarcasme irrespectueux ou quelque envieuse épigramme.

Jusqu’alors elle n’avait connu que les meilleurs esprits et les cœurs les plus élevés du monde littéraire américain, qui l’admiraient sincèrement et qui l’aimaient, qui lui passaient toutes ses fantaisies de despotisme et lui pardonnaient tous les caprices de son orgueil. Une fois mise en contact avec ce monde littéraire subalterne qui recherche les défauts et les vices bien plus qu’il n’aime à admirer, et qui préfère entendre une sottise à entendre une grande pensée, sa vie devint une souffrance perpétuelle. Alors on chuchota à côté d’elle l’épithète de pédante, on lui reprocha de manquer des graces de la femme. Un soir, dans une réunion où elle se trouvait avec miss Frances Osgood et d’autres femmes littéraires, un ami la surprit tout en larmes dans