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Lorsque le pays était privé de tout droit d’intervention dans ses propres affaires, l’activité nationale n’exerçait-elle pas dans la sphère des croyances une action mille fois plus dissolvante que celle qu’elle a exercée depuis dans la sphère des intérêts ? Ne s’est-il pas fait et préparé plus de ruines sous le despotisme de Louis XV que sous le régime de la tribune ? Que l’on compare de sang-froid la propagande révolutionnaire du XIXe siècle jusque dans ses excès les plus hideux à la propagande philosophique du XVIIIe dans son hypocrisie régulière et bien ordonnée ; que l’on mette en regard les folies contre lesquelles l’intérêt et la crainte ont soulevé jusqu’aux plus lâches, et cette corruption de l’esprit qui atteignait la société jusque dans ses dernières fibres, parce qu’elle n’épouvantait personne, et qu’on dise si Voltaire à l’Académie n’a pas été un révolutionnaire plus dangereux que M. Louis Blanc au Luxembourg !

Il n’est donné à aucun pouvoir, sous quelque forme qu’il se présente, d’assurer à une société aussi profondément troublée que la nôtre des jours sans orages et un avenir à l’abri des révolutions. Louis XVIII aurait rétabli la monarchie absolue, au lieu de constituer le gouvernement représentatif, qu’il n’aurait rien ajouté à notre sécurité ni rien diminué à ses propres périls. Si la lutte extérieure avait été moins vive, les colères auraient été plus implacables, les machinations plus profondes, et les partis auraient demandé aux complots les armes qu’ils ont empruntées aux institutions. La Providence permit qu’au moment où la restauration se consommait en France, un événement semblable s’accomplît au sein d’une contrée voisine. Un autre prince de la maison de Bourbon, quittant la prison où il s’était vu jeté par surprise, s’acheminait vers sa capitale, porté sur les bras d’un peuple unanime dans ses transports. La présence des armes étrangères n’attristait pas ce cortège, qui, loin de se lier au souvenir d’une défaite, attestait la plus sainte des victoires. S’il y avait en 1814 une royauté populaire en Europe, c’était à coup sûr celle de Ferdinand VII. Cependant ce prince ne comprit pas sa mission à la manière de son royal cousin. Il reprit la plénitude de son pouvoir traditionnel et en tendit tous les ressorts. Aucune tribune ne s’éleva en face de son trône, aucune voix ne fut admise à réclamer les garanties violemment abolies. Les citoyens les plus illustres furent entassés dans les présides, et le germe de toutes les résistances fut étouffé dans le sang. Six années ne s’étaient pourtant pas encore écoulées, que Riego entraînait à l’extrémité de la Péninsule son roi impuissant et captif, et, trois ans plus tard, l’auteur de la charte faisait franchir les Pyrénées à cent mille hommes pour arracher le roi d’Espagne à l’abîme entr’ouvert sous ses pas. L’événement avait prononcé entre les deux conduites.

Si la monarchie représentative à sombré deux fois en France, ce n’est donc ni parce qu’elle est opposée à nos traditions historiques, ni ’