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jusqu’aux lois qui régissent l’ordre moral et le gouvernement providentiel des choses humaines, c’était opposer un principe d’organisme à un principe d’anarchie et la voix des siècles au cri des passions contemporaines ; mais la France de la restauration, au sein de laquelle tous les intérêts étaient en lutte et toutes les croyances publiques en ruine, se trouvait dans une situation d’esprit qui n’avait été celle d’aucune autre société antérieure. La foi n’y pouvait refleurir qu’en s’isolant du souffle brûlant des partis : au lieu d’agir par le pouvoir, qui n’était accepté que de l’un d’entre eux, il fallait qu’elle agît par la liberté, qui était le patrimoine de tous. Si chez les écrivains dont je viens de rappeler les noms le sens pratique avait été à la hauteur du génie, ils n’auraient pas appliqué des généralités philosophiques à un état tout spécial, imitant l’astronome dont le pied glisse dans l’abîme pendant qu’il poursuit au fond des cieux le cours de ses spéculations audacieuses.

Jamais meilleures intentions n’aboutirent à des résultats plus funestes. On voulait ressusciter Bossuet et faire des Bourbons les colonnes de l’église ; on ne parvint qu’à leur frayer les voies de l’exil et à rajeunir Voltaire : l’opposition transforma en grand citoyen le flatteur de Catherine et de Mme de Pompadour, et l’application de la politique sacrée aboutit au sac de Saint-Germain-l’Auxerrois. Cependant le catholicisme fut sauvé par la révolution même qui s’élevait contre lui comme une formidable tempête. À la vue de l’écueil soudainement découvert, le clergé comprit d’instinct qu’on l’avait engagé dans une fausse route il s’écarta des ruines pour embrasser la colonne éternelle, et, s’isolant des intérêts qui passionnent et qui passent, on le vît se faire tout à tous et refuser de chercher sa force ailleurs que dans la libre expression de ses doctrines. Cette situation nouvelle, sans rendre ses ennemis moins implacables, les laissa du moins désarmés, et quelques années plus tard, lorsque les orages, succédant aux orages, eurent ouvert devant la France des perspectives plus incertaines et plus sombres encore, la religion, devenue étrangère à nos disputes, immuable au sein des plus grands changemens, apparut à tous comme une dernière force et une suprême espérance. La liberté fut pour elle aussi féconde que le pouvoir avait été stérile. Par l’une, elle réalisa sans effort ce qu’elle avait à peine osé espérer de l’autre. Tous les partis s’inclinèrent devant l’église comme devant la seule puissance qui survive aux révolutions ; aux bruits de la société roulant vers l’abîme, elle ouvrit partout ses écoles, éleva ses chaires, convoqua ses synodes et rétablit sa discipline : œuvre merveilleuse, où éclatent et la profondeur des desseins de Dieu et la vanité de nos conceptions, et devant le témoignage de laquelle on comprend à peine que des chrétiens osent convier l’église à renouer avec les puissances temporelles des lie1 s qui ont été si funestes.