Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/759

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des illusions inexplicables en ces temps-ci sur la portée de certaines mesures politiques étaient d’ailleurs fort naturelles en 1815. Comment les royalistes n’auraient-ils pas considéré l’établissement de la monarchie comme inséparable du rétablissement des influences qui furent durant le cours des siècles le plus solide point d’appui de la royauté et son cortège nécessaire ? De telles croyances, pour eux si naturelles, pour ne pas dire si légitimes, élevaient contre la prudente politique du roi Louis XVIII des obstacles presque insurmontables. Il fallait que ce monarque se séparât violemment des traditions et des amitiés de toute sa vie, et qu’il repoussât des dévouemens éprouvés pour accueillir des fidélités douteuses ; il fallait que le roi des vieux âges adoptât la révolution, et que le premier des gentilshommes se transformât en chef de la bourgeoisie, s’exposant de la part des siens au double reproche d’ingratitude et de félonie. C’était une tâche ardue autant que délicate pour le chef de la maison de Bourbon d’opposer aux périlleux entraînemens d’une loyauté sans lumières les impassibles calculs d’une habileté sans illusions, et de faire prévaloir une politique de négation et de simple bon sens contre le vaste ensemble de théories monarchiques qui avaient à cette époque et de si brillans interprètes et de si intrépides croyans. L’histoire ne rendra jamais une justice assez éclatante au vieux souverain qui usa les huit dernières années de sa vie dans cette lutte quotidienne contre tous ses souvenirs, toutes les affections de sa famille et toutes les influences de son intimité ; labeur d’autant plus ingrat qu’en se séparant avec éclat des hommes de la France ancienne pour se livrer aux hommes de la France nouvelle, le gouvernement de la restauration était bien loin de rencontrer dans leurs rangs le dévouement et la confiance à laquelle sa généreuse tentative lui donnait tant de titres, et qu’il rendait les royalistes implacables sans rendre les libéraux reconnaissans. L’irritation des premiers détermina le plus grand acte émané de la royauté, la dissolution de la chambre de 1815, qui mit le pouvoir aux mains des classes moyennes. L’inconsistance politique de celles-ci provoqua trois ans plus tard la plus dangereuse épreuve qu’ait traversée le gouvernement de la branche aînée, les menaçantes élections de 1819, qui mirent la royauté en face de la convention. La dissolution de l’assemblée la plus aristocratique qu’ait eue la France et l’avènement d’une chambre quasi-révolutionnaire, tout le règne de l’auteur de la charte avec le haut et sérieux intérêt qui s’y rattache est résumé dans ces deux faits capitaux, l’un émanant d’une confiance qui croit conquérir la France en s’abandonnant à elle, l’autre révélant la permanence de ces inspirations malfaisantes qui payèrent l’abandon de Louis XVIII comme celui de Louis XVI, et qui semblent livrer la bourgeoisie française à la révolution comme sa victime au monstre qui la fascine. Rappelons sommairement