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même dans une mesure qu’elle ne soupçonnait pas à la vie de cette société démocratique contre laquelle elle épuisait ses anathèmes !

Une nouvelle session était impossible dans une situation aussi violente : il fallait ou livrer le pouvoir à l’opinion qui dominait la cour et la chambre élective, ou rompre résolûment avec elle pour se confier sans réserve à la France de la révolution et de l’empire. Répudier les hommes dont le dévouement héréditaire avait suivi toutes les fortunes de la royauté pour passer à ceux qui avaient, durant vingt-cinq ans, tout laissé faire, depuis le 2 septembre 1792 jusqu’au 20 mars 1815, cesser d’être le roi de la noblesse pour devenir le roi de la bourgeoisie, c’était pour le chef de la maison de Bourbon une résolution incompatible en apparence avec ses engagemens de famille. Pourtant, le 5 septembre 1816, la nation put apprendre que ce miracle était accompli. Méditée avec un secret profond, la dissolution de l’assemblée qui emportait avec elle tant de souvenirs et d’illusions avait été signée par le roi malgré les résistances de toute sa famille et les clameurs de toute son intimité. À partir de ce jour, la royauté s’engageait dans un monde qui l’avait tenue long-temps pour ennemie, et aux yeux duquel elle restait encore une étrangère ; elle commençait cette carrière libérale de cinq années, arrêtée par une réaction qui fut moins provoquée par sa propre volonté que par l’attitude de la classe à laquelle elle s’était si pleinement confiée.


V

Le gouvernement royal marcha dans cette voie aussi résolûment que le comportait la situation d’un pays encore occupé par une armée étrangère et menacé par une conspiration permanente. Une politique d’apaisement succéda à une politique de violence, et la clémence de la royauté s’étendit aussi loin que l’avait fait sa justice. Les membres de la majorité royaliste se virent combattus et repoussés aux élections par le pouvoir, qui n’hésitait pas à leur chercher des concurrens jusque dans les rangs des hommes qui avaient servi et défendu le gouvernement des cent-jours. Si en 1815 les hommes de la veille avaient subi la dure loi des vaincus et si les vainqueurs avaient exploité leur victoire au profit des personnes plus largement encore qu’au profit des principes, il est juste de reconnaître que, de 1816 à 1820, les fonctionnaires destitués retrouvèrent une faveur à laquelle ils n’avaient pas certainement lieu de s’attendre. Bientôt toutes les mesures exceptionnelles cessèrent ; les bannis revirent leur patrie ; la plupart reprirent leurs positions jusque dans l’armée : plus tard, quelques-uns vinrent s’asseoir au sein de la chambre des pairs. Les rangs de la magistrature, de l’administration et de toutes les carrières privilégiées s’ouvrirent