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elle promulguait des lois dont l’effet nécessaire était de transférer l’importance sociale des hommes de l’ancien régime aux chefs de l’industrie, des grands propriétaires fonciers aux détenteurs de capitaux. Du 5 septembre au second ministère Richelieu, la restauration s’était faite centre gauche. Elle avait cherché dans les classes moyennes l’adhésion que lui refusaient et l’ancienne noblesse exaspérée et les masses encore dominées par des antipathies originaires ; mais ces efforts avaient été vains et ces avances stériles. La bourgeoisie acceptait les gages qui lui étaient donnés sans se donner elle-même, et se tenait en face de la royauté légitime dans un état de vague suspicion qui avait sinon toutes les apparences, du moins tous les périls de l’hostilité. Un parti s’était formé, dans la crise des cent-jours, sous la double inspiration de l’esprit révolutionnaire et des souvenirs de l’époque impériale : ce parti faisait appel à toutes les passions, associait toutes les colères dans un éclectisme destructeur, et s’inclinait avec la même béatitude devant les vainqueurs de la Bastille et devant ceux d’Austerlitz. Disciples d’une doctrine qui cachait le culte de la force sous les dehors de la liberté, ces prétendus libéraux, dont le langage mentait chaque jour à la pensée, poursuivaient des espérances incompatibles au fond avec l’établissement de tout gouvernement libre assis sur l’influence personnelle de la fortune et du talent. Cette opinion, soldatesque en même temps que démocratique, avait à la fois des aspirations et des regrets pour les conquêtes impériales et pour les tumultes de place publique ; par toutes ses tendances, elle menaçait donc directement les intérêts permanens de ces classes industrielles dont le premier besoin est un pouvoir régulier et pacifique. La bourgeoisie cependant, durant les quinze années du gouvernement de la branche aînée, se mit à la suite de l’opposition hypocrite qui entretenait des pensées très différentes des siennes, mais dont elle servit souvent les desseins et presque toujours les caprices. Sa modération naturelle subit la pression des opinions les plus violentes, et les hommes qui avaient un si manifeste intérêt à maintenir la royauté dans les voies difficiles où elle était alors engagée semblèrent la pousser, par un système d’impitoyables exigences, soit sur les piques des faubouriens, soit dans les bras de la réaction. Derrière de sincères protestations d’attachement à la monarchie se révélaient de perpétuels ménagemens pour tous les écarts de la presse, d’inexplicables complaisances pour les fauteurs de désordres, de l’indulgence et comme une quasi-sympathie pour toutes les tentatives des factions, tandis que les hésitations de la royauté, même les plus naturelles, suscitaient des impatiences qui allaient jusqu’à la colère. Le parti révolutionnaire, contre lequel la bourgeoisie allait avoir, sous la monarchie de 1830, de si rudes combats à livrer, eut sous la branche aînée cette singulière destinée, de voir les classes