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venir eux-mêmes en implorer le changement, faisant d’une modification immédiate une question de vie ou de mort. C’était porter contre le pays un témoignage trop mérité, et fournir en même temps contre soi-même des armes très dangereuses. Toute politique qui recule sur une question fondamentale est une politique condamnée, et du jour où les auteurs de la loi de 1817 étaient contraints de l’abandonner, il était manifeste que le pouvoir allait leur échapper. Cependant Louis XVIII résista long-temps au torrent qui l’entraînait vers d’autres rivages, car il prévoyait que de là souffleraient des tempêtes non moins redoutables pour la France et pour sa maison. Son instinct lui révélait l’alternative qui pesait sur la restauration comme un arrêt funèbre ; il savait que le zèle n’était pas pour elle moins périlleux que la tiédeur, et que les illusions de ses serviteurs ne lui seraient pas moins fatales que les machinations de ses ennemis. Aussi l’auteur de la charte fit-il sa retraite pas à pas, usant à défendre sa pensée les restes d’une vie minée par les souffrances. Il ne livrait à la réaction que le terrain qu’il était devenu impossible de lui disputer, attendant qu’un retour du bon sens national lui permît de reprendre dans des conditions plus heureuses son œuvre de réconciliation et de paix.

Le second ministère Richelieu, cette administration d’élite où le talent était à la hauteur du cœur, avait été formé d’ans la pensée qu’en écartant celui de ses conseillers contre lequel les passions se déchaînaient avec le plus de violence, la couronne pourrait maintenir sans altération sensible le fond de son système politique ; mais le terme en avait été marqué par une date funèbre : il avait glissé dans le sang. L’assassinat du duc de Berry, la révolte prétorienne des deux péninsules, l’état d’esprit de la jeunesse allemande et les progrès des sociétés secrètes en France, tout commandait de s’arrêter sur la pente qui conduisait aux abîmes, et les circonstances étaient devenues plus fortes que les volontés. M. Decazes, en tombant du pouvoir, avait reconnu et proclamé lui-même l’urgence de refondre la législation électorale et de prendre des garanties contre une presse devenue l’instrument d’une conspiration flagrante. Les collègues de M. de Richelieu avaient donc reçu de leurs prédécesseurs la mission d’accomplir cette œuvre ; mais en vain implorèrent-ils dans cette nécessité pressante le concours des hommes qui avaient l’intérêt le plus direct à soutenir le pouvoir pour contenir la réaction. Le centre gauche refusait par faiblesse ce que les doctrinaires repoussaient par enivrement de logique et d’orgueil : les uns ne pouvaient consentir à blesser la révolution, les autres à paraître s’être trompés. La force des choses conduisit le cabinet à demander à la droite l’appui que ses propres amis lui refusèrent à diverses reprises avec une si imprudente obstination. Dans un gouvernement représentatif, le parti qui assure la majorité est maître du pouvoir, et, ne donnât-il