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avec les superstitions soit gracieuses, soit terribles, soit impures de tous les âges et de tous les dogmes postérieurs. — La belle thèse que laissent échapper là ces négrophiles originaux qui ont imaginé d’assigner à la race noire la maternité physique et morale de l’espèce humaine, au risque de ne voir dans la race blanche qu’un rameau étiolé de cette souche, un ramassis de nègres ingrats et déteints ! Je ne suis pas de cette force. Le plagiat me semble même ici très évidemment du côté des nègres ; la prétendue source d’où l’on voudrait faire découler toutes les traditions humaines n’est qu’un réservoir où ces traditions sont venues peu à peu s’infiltrer, amoindries dans leur long parcours, altérées par leur mélange entre elles et avec celles du cru. Indépendamment du fait bien constaté d’une civilisation éthiopique, fille, ou mère, ou sœur de la civilisation égyptienne, et qui dut plus ou moins rayonner sur l’intérieur de l’Afrique, les fréquentes incursions des pirates éthiopiens dans l’Arabie, ce confluent commercial et religieux de l’Égypte, de la Chaldée, de la Judée, de la Perse, de l’Inde, expliqueraient comment le fétichisme nègre a pu recevoir l’empreinte de dogmes immédiatement postérieurs à la dispersion des peuples. On trouverait la clé d’autres analogies dans le double courant hébréo-arabe qui, pénétrant plus tard par la Haute-Égypte et par la côte orientale d’Afrique jusqu’au sein des races nègres, dut successivement y laisser des vestiges de mosaïsme, de paganisme, de christianisme, de mahométisme ; — dans l’établissement antérieur ou contemporain des Syriens, des Romains, des Vandales, des Maures d’Espagne sur la lisière septentrionale du Sahara, que des caravanes mettaient et mettent encore en communication avec le Soudan ; — enfin dans la propagande un peu superficielle des missionnaires grecs, cophtes, abyssins, portugais, espagnols. Il n’y aurait même rien de chimérique à admettre d’anciens rapports entre les nègres et la Chine, qui connaissait bien avant nous la boussole, qui a eu des comptoirs jusque sur le golfe arabique, et dont les silencieux aventuriers font encore aujourd’hui des routes bien longues. Ne pourrait-on pas, à plus forte raison, soupçonner que les Malais, marins et pirates par excellence, que les Malais, principal noyau de la population de Ceylan, aient quelquefois franchi les six ou sept cents lieues qui séparent cette île du littoral africain et y aient introduit, ne fût-ce que pour s’en faire une sauvegarde, la croyance océanienne du tabou[1] ? L’esclavage moderne, qui demandait

  1. La coexistence en Afrique et en Océanie de deux familles noires pratiquant toutes deux le fétichisme, et dont chacune reproduit les gradations physiologiques et morales de l’autre, depuis le beau type nubien jusqu’à la limite extrême de l’aplatissement facial, depuis la demi-civilisation jusqu’à l’anthropophagie, ne laisserait-elle pas au besoin supposer une origine commune ? L’opinion qui fait sortir les nègres de l’Indoustan a pour elle les géographes et les historiens grecs, qui appliquaient aux Éthiopiens la dénomination générique d’Indiens ; les traditions de l’ancienne Éthiopie, qui avouait les Hindous comme ses premiers instituteurs ; enfin la tradition hindoue elle-même. Les livres sacrés du brahmanisme racontent en effet que Rama, après avoir vaincu en bataille rangée le peuple singe, l’expulsa du continent et lui abandonna par un solennel traité une partie de l’île de Ceylan. Comme on n’échange pas de protocoles avec des quadrumanes, il ne serait pas impossible que les préjugés de caste eussent déjà édité, au temps du Dieu Bleu, la mauvaise plaisanterie que nous avons vue se produire au temps de M. Isambert, et que ces singes guerriers et diplomates soient tout simplement des nègres. Ceci posé, ne peut-on pas admettre que, de Ceylan, sa dernière station asiatique, l’émigration noire ait plus tard reflué par deux courans inverses vers le détroit de Bab-el-Mandeb et le détroit de Malacca ?