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alternativement vibrans et rauques qui résultait de cet accident ; puis un loustic de la bande adapta à l’air, en guise de traduction, ce distique qui fit fortune et qui, à chaque nouveau décès, faisait d’un bout à l’autre de la ville un accompagnement railleur au carillon funèbre :

Bon blanc mouri,
Mauvais rêté…

« Le bon blanc est mort, — les mauvais restent. »

Voilà la forme, l’esprit et le procédé de l’improvisation nègre. À l’atelier comme sous l’ajoupa, en plein labeur comme en plein far-niente, quelque phrase musicale, parfois tombée on ne sait d’où, parfois copie et variation d’un motif surpris dans les vagues harmonies des champs et des bois, erre des heures entières sur les lèvres distraites de l’Africain jusqu’à ce que la parole, arrêtant cette indécise mélopée, la fixe sur le premier sujet venu : mouche qui vole, caillou qui roule, allumette qui flambe ou ridicule qui passe, — le ridicule surtout. C’est, par exemple, à la vue de l’indigence en manchettes, ou mieux encore sous les croisées de quelque colon parvenu, retrouvant d’hypothétiques parchemins au fond de son ballot de pacotilleur, qu’a dû s’élever, un jour, ce cri de l’esclave :

Tout ça qui poté zéperons,
Pas maquignons…

« Tous ceux qui portent éperons n’ont pas cheval. »

Et l’imprévoyante ostentation de tel planteur, qui se ruinait pour aller de pair avec de plus riches que lui, a pu surprendre cette autre leçon dans la finaude niaiserie d’un soliloque nègre :

Croquez macoute
Oué ti main ous ca rivé.

« Accrochez votre panier où votre main puisse atteindre ; »

ou cette autre encore :

Zefs pas doite entrer
Nen calenda roches…

« Les veufs ne doivent pas entrer dans la danse des pierres. »

C’est l’apologue du pot de terre et du pot de fer traduit en patois créole par la raillerie mandingue qui, à propos des goûts ferrailleurs des mulâtres, dont les duels, comme presque tous les duels, finissaient moins souvent par un enterrement que par un déjeuner, a encore deviné un de nos bons mots de vaudevilles :

Mulates qua battent
Cabrites qua morts…


« Les mulâtres se battent : les cabris sont morts. »

Le planteur noir traitait ses esclaves avec une dureté exceptionnelle,