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et de bouffon, d’extravagant et de trivial, de bonhomie et de raillerie, qu’embrasse cette première variété du conte nègre. La seconde met, je l’ai dit, en scène deux personnages à caractère arrêté, ce qui, tout en laissant une carrière illimitée à l’invention des épisodes, enferme cependant l’idée dans un milieu assez étroit. L’un de ces personnages s’appelle Bouki, nom dont je n’ai pu retrouver l’étymologie, évidemment africaine ; l’autre s’appelle Petit-Malice. Bouki résume à lui seul la colossale goinfrerie de l’ogre français, la vigueur bonasse du Caragheuz turc, et l’épaisse bêtise du niais des atellanes antiques, le tout fondu dans un bain de tafia. Petit-Malice, au contraire, cumule dans un corps de nain le génie inventif du Petit-Poucet avec la malfaisante taquinerie de notre Polichinelle de foire. On devine que les deux personnages sont souvent en guerre, et, dans cet incessant duel de la force stupide et de la malignité lilliputienne, c’est Bouki naturellement qui paie les pots cassés. En supposant que cette odyssée orale, où chaque veillée, chaque conteur apportent de nouveaux incidens, aussitôt oubliés qu’inventés, pût être ressaisie par la traduction, la traduction aurait souvent à reculer devant certains détails qui intéressent d’ailleurs beaucoup plus la propreté que la morale. En voici pourtant un épisode au hasard, le premier qui s’offre à ma mémoire. J’en supprime autant que possible les crudités anatomiques et pathologiques ; mais, après tout, on est bien averti qu’il ne s’agit point ici d’une bergerie de Watteau.

Il y avait une fois, dans l’écurie du roi, un éléphant blanc si grand, si grand, qu’on l’appelait indistinctement dans le pays le roi des éléphans ou l’éléphant du roi. La rareté du morceau allécha l’appétit du nain, qui s’introduisit furtivement dans l’éléphant par l’arrière-cour de cet édifice de chair. Une fois là, Petit-Malice tailla tant et tant dans le vif, que l’éléphant mourut. Le roi, désolé, convoqua tous les sorciers du royaume pour se faire expliquer la cause de ce décès subit de son favori, et, après avoir délibéré quinze jours et quinze nuits sur la question, ceux-ci répondirent : « O grand roi ! l’éléphant blanc est mort parce qu’il a cessé de vivre. » Le roi bâtonna les sorciers, et, cédant à un pressentiment soudain, il ordonna d’ouvrir l’éléphant.

Qui fut bien attrapé ? Ce fut Petit-Malice, qui n’avait pas encore trouvé l’occasion de quitter sa retraite. Petit-Malice fut condamné, séance tenante, à être empalé auprès du corps de l’éléphant. Pendant qu’il attendait, enchaîné au pal, l’heure du supplice, arriva Bouki, qui venait jouir de la mésaventure du nain. À la vue de son souffre-douleur, Petit-Malice se dit qu’il était sauvé. — Cher Bouki, s’écria-t-il d’un ton piteux, tu devrais bien te charger de la corvée qu’on m’impose. — A d’autres ! dit en riant Bouki.