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immense ? Au milieu des nécessités rigoureuses créées par des obligations nouvelles, la modération est d’autant plus nécessaire pour rapprocher les hommes, pour désarmer les scrupules honorables, pour ne point faire porter, par exemple, à la science les peines de la politique. La retraite d’hommes comme M. Villemain ou M. Cousin ne serait-elle pas plus regrettable encore, si leur nom ne continuait à se rattacher librement à l’enseignement qu’ils ont illustré ? Il se peut même parfois que la modération inspire bien l’esprit. Nous cherchons vainement ce qu’a pu gagner M. Arago dans un échange ostensible de correspondances où le ministre de l’instruction publique a su mettre du côté du gouvernement la modération et le bon goût, ce qui est bien encore quelque chose en France.

Quand nous disions l’autre jour qu’il y avait nécessairement quelque peine pour les corps politiques à prendre la place qui leur est dévolue dans un nouveau régime, nous aurions pu ajouter que cette difficulté existe pour tout le monde. Il y a pour chacun une étude à faire, — l’étude des signes contemporains, des possibilités, des conditions de l’ordre actuel des choses. On ne se rend pas toujours compte au juste de la mesure dans laquelle tout est changé. Cette incertitude à peu près universelle n’est pas le moindre signe de ce moment-ci. Le corps législatif a eu à ressentir les effets de ces hésitations dans ses travaux ; il les ressent encore peut-être, d’autant plus que c’est l’organisation législative qui a été le plus profondément transformée. La presse, pour n’être point un corps de l’état, n’y est pas moins sujette, et elle s’instruit à ses risques et périls. Déjà plusieurs avertissemens ont été donnés. Le gouvernement a probablement voulu fixer dans l’application le sens du dernier décret sur un point particulier. Par exemple, quelle est la nature des rapports de la presse avec les corps de l’état ? Dans quelle mesure peut-elle rendre compte de leurs travaux ? Autrefois, on s’en souvient, les journaux reproduisaient dans leur animation même les séances des assemblées ; ils décrivaient ces luttes ardentes de la parole ; ils mettaient en scène les personnages. Que de peintures injurieuses ou complaisantes ! que de verve employée souvent à démontrer que l’éloquence, la raison, la vérité, l’esprit, se trouvaient toujours nécessairement du côté de celui dont le journal défendait l’opinion ! Ce n’était point le mieux à coup sûr ; toujours est-il que nous n’en sommes plus là. Le procès-verbal officiel des séances législatives reste le seul genre de reproduction permis aux journaux. C’est là le sens des derniers avertissemens infligés par l’autorité administrative, et on peut sans trop de licence se demander si les orateurs n’y perdent pas encore plus que les journaux. Au reste, dans l’incertitude qui résulte pour la presse de ces conditions, ne croyez pas que l’embarras soit égal pour tout le monde. Il y a les esprits à ressources qui suppléent à tout merveilleusement, et qui continuent à avoir en réserve une multitude de questions du dernier intérêt, de l’à-propos le plus saisissant. Vous plaît-il de savoir la différence du droit divin et du droit national, ou bien encore de vous initier aux mystères de l’autorité absolue et de la liberté absolue ? Vous aurez beau objecter que cela ne vous inquiète guère : qu’importe ? Les inventeurs de ces choses n’en poursuivront pas moins leurs voyages dans les régions fantastiques. Il y a ainsi dans la presse bon nombre de ces types de polémistes oiseux ou excentriques qui ont des idées à eux, une histoire à eux, une politique à eux : « Moi, dis-je,