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italiennes ; c’est une œuvre tout-à-fait espagnole et dans laquelle on retrouve ce style rude et majestueux et cette férocité d’exécution qui ont rendu ce maître fameux entre tous les artistes énergiques qu’a produits l’Espagne. Herrera, au moment de la composition, poussait la fougue jusqu’à la fureur. Ses élèves redoutaient de l’approcher tandis qu’armé de balais en guise de brosses, et se faisant aider de sa servante, il jetait la couleur sur sa toile, remplissant, comme au hasard, les contours des figures qu’il traçait au moyen de joncs. Bien que d’une puissance de relief sans égale, le Saint Basile paraît exécuté plus sagement. Ce qui distingue cette composition, c’est un grand sentiment de la réalité. Rien n’est accordé au charlatanisme de l’effet ; mais aussi rien de trivial ou de faux. Nous recommandons l’étude de ce tableau à nos peintres naturalistes. C’est du reste bien à tort, à notre avis, que l’on a porté contre l’école espagnole l’accusation de matérialisme. Les moyens sont humains sans doute, mais le but est toujours élevé et spirituel. Ses peintres les plus amoureux de la nature ont consacré leurs pinceaux au service d’une idée où ils puisent l’inspiration de leurs chefs-d’œuvre les plus sublimes : l’idée religieuse. Cette influence irrésistible que, sous Charles-Quint et Philippe II, la religion exerçait sur la politique, dont le domaine est tout de ce monde, devait naturellement s’étendre aux beaux-arts qui, de tout temps, ont été comme un des modes d’expression du sentiment religieux. Le paganisme avait peuplé ses sanctuaires des statues de ses dieux et de ses déesses. Le catholicisme couvrit les murs des églises de ces saintes images qui les revêtent encore. En Espagne, cette application de l’art fut plus exclusive encore qu’en Italie. Il fut un temps où l’artiste qui, à l’instar des Raphaël, des Titien et des Corrège, eût emprunté à la fable et au paganisme le sujet de ses compositions, au lieu d’admirateurs, eût rencontré des critiques ombrageux, peut-être des juges. L’art espagnol est donc religieux avant tout. Ce n’est que plus tard, au moment de la grande explosion du XVIIe siècle, que le pinceau de l’artiste se permet de profanes libertés ; mais alors encore, sous Vélasquez et Murillo comme sous les maîtres de Tolède et de Valence, le fond de l’école reste dévoué au triomphe du dogme. Sans doute, pour honorer le ciel, elle emprunte beaucoup trop à la terre. Toutefois son horreur des abstractions est fort éloignée du matérialisme des écoles contemporaines ; elle ne se sert pas de la nature pour exalter la nature, elle ne s’en sert que comme Moïse et les prophètes se sont servis de la création, pour faire comprendre toute la puissance du Créateur, le glorifier et le faire aimer.

Zurbaran est de tous les peintres de la grande période le plus franchement espagnol. Zurbaran, comme Giotto, était fils de paysans. Comme il montrait d’étonnantes dispositions pour la peinture, ses parens le firent entrer dans l’atelier du clerc Las Roëlas, peintre de Séville qui jouissait alors de la vogue. Zurbaran fit de rapides progrès à son école et s’adonna surtout à l’étude des étoffes et des draperies. Il ne fit pas le voyage d’Italie, et si, comme on l’assure, il a copié plusieurs tableaux du Caravage, sa manière se rapproche peu de celle de ce maître, et son style vigoureux et simple est surtout exempt de sa fougue un peu apprêtée. Zurbaran est un de ces peintres religieux dont nous parlions tout à l’heure ; le petit nombre de compositions profanes qu’il a exécutées l’ont été sur l’ordre du roi, qui lui commanda pour le Retiro les Travaux d’Hercule. C’est dans la grotte du cénobite ou dans la cellule du moine qu’il s’établit de préférence. Nul