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s’agitent comme dans un élément qui leur est propre. La lumière rayonne de leurs yeux, se joue sur leurs membres souples et soyeux, et semble émaner de chacun des points de cette toile éblouissante, sans dissonance, sans que rien n’altère la solidité de ton de chaque objet peint dans la pâte la plus puissante, et que, par endroits seulement, l’artiste a légèrement surglacé à la vénitienne.

Une Assomption de la Vierge de Murillo se rapproche de la Conception par ces qualités qui n’appartiennent qu’au grand artiste de Séville. Cette fois la Vierge est mère et tient son fils dans ses bras. Des anges la soutiennent et la contemplent avec ravissement. Malheureusement ce tableau a souffert une cruelle mutilation : la tête de la Vierge et l’enfant Jésus ont été détachés par d’adroits voleurs, et il a fallu faire remplir cette lacune par une main étrangère. Cette restauration a été opérée habilement. Néanmoins les groupes des anges et des chérubins, restés intacts, et d’une exécution si exquise, font regretter plus vivement encore la partie enlevée.

Le Saint Pierre aux Liens est peut-être un tableau égal à la Conception. Saint Pierre, réveillé dans sa prison par l’ange qui brise ses chaînes, se soulève et paraît frappé d’étonnement. Le céleste messager a apporté avec lui une sorte d’atmosphère lumineuse, et c’est de son corps dessiné avec la grace et la légèreté vraiment divines que Murillo sait donner à ces nobles créatures, que rayonne la lumière qui éclaire le tableau ; mais ce qui est plus frappant encore que ces recherches de clair-obscur, c’est l’aisance admirable avec laquelle l’artiste a traité toutes les parties de son œuvre. Jamais sa touche ne s’est montrée plus osée, et en même temps plus suave ; étudiez la façon dont est peint le corps de l’ange, et jetez ensuite un coup d’œil sur la tête du saint et sur ses jambes nues : avec un seul coup de pinceau dans la joue, Murillo dessine la forme et accuse l’âge du personnage ; le pied droit et la jambe, modelés dans la pâte au moyen d’une large et unique teinte où le ton est frappé juste et de quelques touches qui dénotent une science souveraine, semble sortir de la toile. On peut comparer ces touches puissantes du pied du Saint Pierre aux traits de plume de la fameuse main de Michel-Ange.

La Fuite en Égypte, la Naissance de la Vierge et le Miracle de san Diego sont trois tableaux dans le style familier de Murillo. La Fuite en Égypte offre à la fois des réminiscences du Corrège et de Ribeira. Le moelleux des contours et l’harmonieuse vigueur du coloris feraient cependant reconnaître l’œuvre de Murillo, quand bien même ce peintre n’eût pas signé ce tableau. Dans la Naissance de la Vierge, nous assistons à une scène de famille, et Murillo, en adoptant ce parti, nous parait s’être placé au point de vue le plus juste. Anne et Joachim, le père et la mère de la Vierge, n’étaient, en effet, que d’honnêtes campagnards vivant obscurément dans leur village ; la Naissance de la Vierge ne peut donc être qu’un tableau d’intérieur domestique. Les accessoires pris en dehors de la condition du père et de la mère peuvent seuls faire pressentir la destinée réservée à l’enfant qui vient de naître. Telle est la pensée qui a présidé à la composition du tableau de la Nativité. Au milieu d’une vaste salle, un groupe de personnages donnent leurs soins à l’enfant nouveau-né, que des anges inclinés contemplent avec amour. Au fond du tableau, à gauche du spectateur, sainte Anne couchée reçoit les félicitations de deux étrangers que lui