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quis de pays ! Terre de France, ma si douce patrie, te voilà veuve de tant de braves gens ! Barons français, vous mourez par ma faute ! je ne vous ai pu sauver ni garantir ; que Dieu vous aide, Dieu qui ne ment jamais ! De chagrin je mourrai, si le fer ne me tue ! — Olivier, mon frère, retournons au combat ! »

Roland a reparu dans la mêlée. Comme devant les chiens s’enfuit le cerf tremblant, ainsi devant Roland s’enfuient les infidèles. Voici pourtant Marsille qui s’en vient en guerrier, renversant en chemin Gérard de Roussillon et d’autres preux français. « Dieu te damne, lui crie Roland, de m’abattre mes compagnons, » et d’un revers de Durandal il lui tranche le poing, puis saisit la blonde chevelure de Jurfaleu, le fils du roi. À cette vue, les Sarrasins s’écrient : « Aide-nous, Mahomet ! venge-nous de ces maudits ! Jamais ils ne lâcheront pied ! Sauvons-nous ! sauvons-nous ! » Sur ce mot, il s’en enfuit cent mille ! Ne craignez pas qu’ils reviennent ; pour toujours ils sont partis.

Mais qu’importe si Marsille a fui ! Son oncle, Marganice, reste sur le terrain avec ses Éthiopiens aux noirs visages. Il se glisse derrière Olivier, le frappe au milieu du dos, et du même coup lui traverse la poitrine. « En voilà un, dit-il, qui nous venge de tous les nôtres ! » Olivier, frappé à mort, lève le bras, laisse tomber Hauteclaire sur le cimier de Marganice, fait voler en éclats les diamans dont il brille, et lui fend la tête jusqu’aux dents. « Maudit païen, dit-il, ni à ta femme, ni à dame de ton pays tu n’iras te vanter de m’avoir abattu ! » Puis il appelle Roland à son secours.

Roland voit Olivier livide et sans couleurs, le sang ruisselant de son corps. À cette vue, il se sent défaillir, et sur son cheval il se pâme. Olivier ne l’a point aperçu. Il a tant perdu de sang, que ses yeux en sont troubles. Il n’y voit plus ni de loin ni de près. Son bras, qui toujours veut frapper, laisse encore s’abattre Hauteclaire, et c’est sur le cimier de Roland que le coup porte. Le casque en est fendu jusqu’au nasal, mais la tête n’en est point atteinte. À ce coup, Roland le regarde et lui demande avec douceur : « Mon compagnon, l’avez-vous fait exprès ? C’est moi, Roland, votre plus cher ami ! Vous ne m’avez défié, que je sache ! — Je vous entends, c’est votre voix, dit Olivier ; mais je ne vous vois point ! Si je vous ai frappé, ami, pardonnez-moi ! — Vous ne m’avez point fait de mal. Je vous pardonne, ami, ici et devant Dieu. » À ce mot, ils s’inclinent l’un vers l’autre, et sur ce tendre adieu les voilà séparés !

Roland ne se peut détacher du corps de son ami étendu sans vie sur la terre ; il le contemple, il le pleure et lui rappelle à haute voix tant de jours passés ensemble en si parfaite amitié. Olivier mort, quel fardeau pour lui que la vie !

Pendant ce temps, sans qu’il s’en aperçoive, tous nos Français ont péri, hormis l’archevêque et Gautier. Blessés, mais encore debout, ils