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Jadis nous avions des garnisons à bord des navires de guerre, comme les Anglais, comme les Américains en ont encore, afin de maintenir la discipline et la stricte observance des consignes dans les équipages, afin de servir de noyau d’instruction et de centre de ralliement pour les compagnies de marins débarquées à terre, afin de remplir le rôle de tirailleurs habiles dans un combat naval à petite distance. Tous ces motifs étaient certes suffisans pour ne pas s’écarter du principe fécond des spécialités. On n’en tint pas compte. Après avoir supprimé le régime des garnisons de bord, on créa celui des équipages de haut-bord, puis celui des équipages de ligne, et l’on voulut voir dans l’homme appartenant à une compagnie de ces équipages un être privilégié, capable de devenir, après son incorporation, un matelot aussi bon canonnier qu’homme de mer, aussi bon soldat que canonnier. Or, comme cette triple spécialité ne peut se décréter par ordonnance, il en résulta que l’homme incorporé dans ces compagnies d’équipage de ligne ne se trouva être, au bout de quelques mois, même au bout de quelques années, ni un vrai marin, ni un habile canonnier, ni même un bon soldat ; c’est à peine s’il était un peu de tout cela. Il a donc fallu revenir au point de départ, voir dans nos matelots inscrits les vrais hommes de mer capables de manier mâts, vergues et voiles ; il a fallu créer l’institution des matelots-canonniers, qui a enfin doté nos vaisseaux de pointeurs habiles : il reste encore à les doter de marins-fusiliers, dont la spécialité consisterait à faire le service de garnison à bord, de fantassins d’élite à terre, et de tirailleurs habiles dans un combat de vaisseau à vaisseau. Les élémens de ce corps existent déjà ; ils seraient fournis par le recrutement annuel des conscrits destinés au service de la flotte. Grace à cette ressource, l’organisation d’un certain nombre de compagnies de matelots-fusiliers, portant le bouton du marin et soumis à sa discipline, ne présenterait guère de difficultés, si le choix des officiers les plus propres à commander ces compagnies ne soulevait une question assez épineuse. Ces officiers doivent-ils être en effet des officiers de vaisseau ou des officiers d’infanterie ? Dans le premier cas, l’unité du bouton, l’unité de discipline, tout est observé ; mais aussi, il faut le reconnaître, la mobilité des positions des officiers de vaisseau s’accorderait mal avec les nécessités de cette tâche nouvelle. Qui ne comprend en effet que, pour être bien disciplinées et bien dirigées, ces compagnies exigeraient avant tout un état-major aussi permanent que possible ? Puis, sont-ils bien nombreux les officiers de vaisseau assez familiarisés avec l’école du tir de précision, avec l’école de peloton, avec l’école de bataillon, avec les fortifications passagères, pour en savoir inculquer les principes aux sous-officiers et fusiliers des compagnies qu’ils seraient appelés à commander ? Si, d’un autre côté, on met à la tête de ces compagnies des officiers