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Et nos gens de mer eux-mêmes, pense-t-on que cet interrègne dans la navigation d’échange n’ait pas nui à leurs traditions, à leurs habitudes de mer, qu’il n’ait pas rendu leurs exigences plus coûteuses ? Enfin, il faut le dire, quand un pays veut transformer ses marins en courtiers du globe, c’est qu’il est riche lui-même en produits encombrans, c’est-à-dire exigeant beaucoup de tonnage. Hélas ! c’est surtout là qu’est notre côté faible : pendant que les Américains se procurent, sur leur propre sol, des cotons, des bois, des céréales en abondance, pour composer les cargaisons aussi nombreuses que régulières de leur flotte marchande, pendant que les Anglais, avec leurs 2 millions de tonneaux de houille et leurs 500,000 tonneaux de métaux exportés, assurent du fret à leurs bâtimens de commerce, que pouvons-nous offrir aux nôtres en produits encombrans ? Moins de 200,000 tonneaux de vin et des tissus, des articles variés, des matières peu encombrantes de leur nature ; quant à nos sels et nos céréales, ils ne sortent guère des mers d’Europe. On voit dès-lors avec quels désavantages nous entrons dans la lice pour lutter avec ces marines rivales.

Reconnaissons-le : oui, les tarifs protecteurs sont encore nécessaires à notre flotte de commerce, si l’on veut maintenir et le chiffre de ses armemens et celui de son personnel marin ; or, parmi ces tarifs, le contrat colonial figure en première ligne. Que nos officiers ne l’oublient pas, le chiffre actuel de notre marine marchande n’est que suffisant pour alimenter le recrutement de notre flotte de guerre ; qu’ils ne séparent donc, dans leur pensée, ni la marine militaire, ni la marine marchande, ni le système colonial. Notre puissance navale est un édifice dont la marine militaire est la clé de voûte, comme la flotte marchande en est la base. Quant à notre système colonial, on a vu quelle influence il peut exercer sur les destinées de l’une et de l’autre ; les faits démontrent assez clairement combien il importe de le maintenir, et nous croyons inutile de rien ajouter à cet imposant témoignage.


Comte BOUËT-WILLAUMEZ,

Capitaine de vaisseau, ancien gouverneur du Sénégal.