Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/969

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il chemina dans la nuit des catacombes, exerçant son humble prosélytisme jour par jour, ame par ame, et faisant si peu de bruit qu’au milieu des agitations du monde les historiens païens soupçonnèrent à peine la végétation souterraine qui, en s’épanouissant tout à coup, allait renouveler la face de la terre. La grace de Dieu descendait obscurément sur les plus obscurs, et, bien loin d’y être pour quelque chose, les pouvoirs humains ne pressentaient pas même la révolution qui transforma l’humanité. La France du XIXe siècle n’est pas moins étrangère à la vérité religieuse que la Rome impériale, car la lutte contre le paganisme des intelligences ne sera pas moins longue que la lutte contre le paganisme des sens. Le mystérieux travail qui s’opère a donc aussi des conditions de lenteur et de réserve que la restauration ne soupçonna point. L’ombre sainte des catacombes l’avance plus que le triomphe du Capitole.

Toutes les tentatives du gouvernement de la branche aînée dans l’ordre religieux ne furent qu’une longue suite d’avortemens. Abstraction et impuissance, tel fut le double caractère de ces mesures prétendues organiques qui suscitaient des irritations si redoutables sans servir un seul des intérêts qu’elles étaient destinées à protéger. On n’aspirait pas avec moins d’ardeur à fonder une aristocratie qu’à rétablir des rapports de dépendance entre l’église et l’état, et les essais faits dans cette voie ne furent ni moins imprudens ni moins stériles. Pendant que le fougueux auteur de l’Essai sur l’Indifférence dénonçait la loi athée à l’indignation du monde et sommait la force de choisir enfin entre l’erreur et la vérité, les publicistes de l’école anglaise prononçaient de sinistres prophéties sur le sort de cette société dont le code civil préparait la ruine, et où le sol, morcelé à l’infini par l’égalité des partages, manquerait bientôt à la culture. La continuité n’était-elle pas le principe et le but de tout gouvernement monarchique, et ne fallait-il pas que celui-ci fût dirigé par une succession d’hommes inspirés du même sentiment, excités par des intérêts du même ordre ? L’individu, pour la monarchie, n’est-ce pas la famille, série de générations identiques avec elles-mêmes, qui ne changent rien et ne veulent rien changer autour d’elles ? Or, fonder la famille, c’était, d’une part, y perpétuer le pouvoir paternel dans sa délégation naturelle ; c’était, de l’autre, immobiliser le sol aux mains de celui qui recevait par le fait de sa primogéniture cette délégation sacrée. Toutes les imaginations étaient en travail pour sauver une société qui persistait à douter de son mal et de la mission de ses sauveurs. Chaque matin voyait éclore des plans nouveaux pour constituer une aristocratie territoriale, et, avec une infatuation inexplicable pour qui ne connaît pas les illusions des partis, l’on demandait aux lois d’accomplir l’œuvre des siècles. M. Fiévée, tout homme d’esprit qu’il était, proposait de doter en immeubles les