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imprévue, quelque chose de très réel et de très positif ! Essayez donc de persuader à des hommes peu faits aux distinctions que celui qui est l’objet d’un tel culte quand il est mort, il ne vaudrait pas mieux le voir là debout, vivant et régnant par lui ou par les siens !

Et ici, qu’on l’observe bien, il s’est produit un phénomène qui est en quelque sorte le nœud de notre situation actuelle. Tandis que les classes politiques étaient royalistes, libérales ou démocratiques, et ne voyaient dans ces réminiscences de l’empire qu’une satisfaction rétrospective de l’orgueil national, peut-être un moyen de popularité qu’elles se disputaient ; tandis qu’en tout le reste elles s’absorbaient dans toutes les diversions de la politique active, s’échauffaient pour la réforme électorale ou la question d’Orient, jouaient aux coalitions et aux crises ministérielles, quel était le seul aliment qui allait nourrir les masses, dans les campagnes surtout ? C’étaient tous ces souvenirs de l’ère impériale ; l’image de Napoléon et de ses compagnons de gloire allait pendre aux murs des chaumières. L’empereur était mort, soit ; on n’en était pas bien certain, témoin cet homme du peuple qui en 1830, voyant reparaître le drapeau tricolore ; s’écriait naïvement : « J’étais bien sûr qu’il n’était pas mort ! » Il, c’était Napoléon. Or il est venu un jour où toutes les conditions politiques ont été interverties. Le suffrage universel a déplacé le pouvoir : les classes gouvernantes ont été dépossédées, et les masses se sont trouvées souveraines. Le premier nom qui a jailli de ces masses profondes, c’est naturellement celui que tout leur avait enseigné, qui leur était parvenu sous toute sorte de formes familières et consacrées, et qui leur apparaissait encore comme un symbole de gloire et d’autorité dans la déroute universelle des pouvoirs ; elles l’ont jeté comme un épouvantail à l’anarchie. Ce qui n’était la veille qu’un souvenir a pris corps tout à coup, el il s’est trouvé que de tout ce bruit fait pendant trente ans autour des choses impériales, il était né un nouveau gouvernement. Si on a su ce qu’on faisait depuis un quart de siècle en enfonçant dans l’esprit public cette puissante image napoléonienne, pourquoi s’étonner aujourd’hui ? Tout cela est pourtant assez simple, pour peu qu’on se place au point de vue d’une certaine logique secrète qui gouverne le monde moral. Si on n’a pas su où on allait, si on a voulu chercher surtout dans ces souvenirs pleins de prestige des moyens faciles de popularité et de succès, alors la leçon ne saurait être plus complète pour les gouvernemens, pour les partis, pour tous ceux qui sont investis à quelque degré de la direction des esprits ; les uns et les autres doivent savoir aujourd’hui que chacune de leurs actions, chacune de leurs paroles porte ses fruits. Ils peuvent reconnaître que pas une des réhabilitations dont ils se font souvent un jeu, pas une des idées qu’ils sèment, pas une des tendances qu’ils provoquent n’est indifférente, et que tout cela peut devenir un jour la réalité, même, au lieu et place des institutions qu’on travaillait si singulièrement à affermir. C’est là pour le moment toute notre moralité.

En attendant, les conseils-généraux et les conseils d’arrondissement récemment élus viennent de se réunir pour leur session annuelle. Jusqu’à présent, le résultat le plus apparent de leurs travaux est la série de vœux qu’ils ont émis, et dont le Moniteur est le complet dépositaire. Nous ne voyons pas quelle utilité il pourrait y avoir à ne point constater la nature de ces vœux : la plupart