Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1026

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Pierre d’un jeune élève de l’École normale, M. Prévost-Paradol ; prix de poésie, décerné à un morceau sur la Colonie de Mettray de Mme Louise Colet ; prix de vertu, prix des ouvrages les plus utiles aux mœurs ; combien d’autres encore ! Au fond, un esprit chagrin, sans une trop notoire injustice, pourrait bien marquer d’un trait au passage plus d’un de ces prix. Quand l’Académie couronne un discours sur Bernardin de Saint-Pierre, son choix est précisé par le sujet même, et c’est son goût qui dicte son jugement dans le cercle qu’elle s’est tracé. Quand elle couronne la poésie de Mme Colet sur la Colonie de Mettray, c’est que probablement elle l’aura trouvée meilleure que les morceaux des autres concurrens sur le même motif, ce qui peut ne point donner une idée démesurée du concours. Le morceau, de Mme Colet a été lu à l’Académie ; on le peut retrouver aujourd’hui dans un volume d’un titre tout féminin : Ce qu’il y a dans le cœur des femmes. Que dirons-nous ? C’est que l’Académie, eût-elle eu à choisir dans le livre tout entier, eût indubitablement préféré encore les vers sur la Colonie de Mettray à l’apothéose, des Tableaux vivans, par exemple, ou à telle autre confidence intime dont le moindre défaut est d’être indifférente pour le public. Dans tous les cas, c’est ici une affaire de goût.

N’y a-t-il point évidemment autre chose qu’une question littéraire dans la répartition des prix réservés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs ? Nous l’avons toujours cru, dans ce genre de récompenses, l’Académie pourrait trouver les moyens de stimuler la création d’une sorte de littérature populaire, — non pas démocratique, bien entendu. Ce serait une littérature populaire, non par la vulgarité, non par l’affectation d’un langage grossier et la complaisante peinture de la corruption des multitudes, mais parce qu’elle revêtirait d’une manière familière et saisissante les plus purs phénomènes de la vie morale, les vérités supérieures, les notions du juste et du bien, en les rendant accessibles aux intelligences les plus simples. Des travaux couronnés par l’Académie, deux seulement nous semblent réaliser la pensée que nous exprimons, ce sont les ouvrages de Jasmin et un petit essai sur l’Économie dont nous avons dit un mot autrefois. L’auteur de ce dernier essai, M. Mézières, a fait un livre piquant, varié, intéressant et pratique avec cette pauvre et ingrate vertu de l’économie, qui n’est guère en honneur depuis qu’on a découvert qu’elle était un vice chez les gouvernement. C’est un de ces petits livres où circule l’esprit de Franklin avec quelque chose de plus français, et qui vont droit au but en popularisant une vertu morale. Mais, nous le demandons sérieusement, quel rapport peut-il y avoir entre la Critique de la raison pure, de Kant ou l’Esthétique de Hegel et les mœurs ? Outre que le rapport n’est pas très visible, il faut bien y songer : quand l’Académie couronne un de ces livres, ce n’est pas le livre seul qu’elle signale, c’est l’auteur qu’elle recommande. — Or voici un homme, Hegel, le père d’un mouvement philosophique qui a abouti à l’athéisme le plus sordide, — et c’est un de ses ouvrages qu’on choisit comme pouvant exercer la plus heureuse influence sur les mœurs ! Hegel n’est point responsable de M. Feuerbach, dira-t-on ; il y a, dans sa philosophie des arts, de grandes et éloquentes parties. Oublie-t-on qu’à ce titre bien des mauvais livres pourraient être couronnés, puisqu’il s’y peut trouver également, des portions