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plaisait à suivre les travaux, et dont il assura si bien le succès de son vivant, qu’il vit la langue française tout-à-fait épurée, et commençant à prendre dans le monde d’Occident presque autant de place que la langue grecque en avait pris autrefois, à l’époque où elle était la langue des marchands, des soldats, des hommes de cour et des voyageurs. » Ce n’est pas tout d’un tel éloge ; l’exemple et la célébrité de l’Académie française excitaient en Angleterre une émulation qui se marquait dès-lors par la création de cette même Société royale de Londres[1], occupée tout entière de recherches et d’expériences scientifiques, et qui, plus tard nous le verrons, ramena souvent le projet d’une fondation littéraire toute semblable à la nôtre.

Quoiqu’il en soit de ce premier hommage, l’Académie, comme bien d’autres autorités plus considérables et plus passagères dans le monde, a eu beaucoup de panégyristes, beaucoup de détracteurs et fort peu d’historiens. Les panégyristes, ce sont d’abord tous ses membres, au moins le jour de leur réception. Quant à ses historiens, sans parler du premier et du meilleur de tous, Pélisson, ni de l’abbé d’Olivet, qui lui succéda, le plus récent après l’un et l’autre, enlevé à l’Europe savante en 1783, est déjà bien loin de nous : c’est d’Alembert, homme de génie dans les sciences mathématiques, au jugement de ses pairs de son temps comme du nôtre, et très spirituel amateur des lettres, cœur noble et droit, avec des doctrines sceptiques, et penseur philosophe, non pas plus pénétrant et plus fin, mais moins discret que Fontenelle.

On sait comment, secrétaire perpétuel de l’Académie française en même temps que rival d’Euler et premier patron de l’immortel Lagrange, d’Alembert a, dans une suite d’éloges, fait la biographie presque complète des deux générations littéraires qui l’avaient précédé, imitant avec plus de liberté et d’idées les éloges historiques de Pélisson et de d’Olivet, et, sur les points qu’ils n’avaient pas touchés, remontant jusqu’en plein XVIIe siècle, à Bossuet et à Boileau, à Fénelon, Fléchier, Massillon, l’abbé Fleury, pour revenir, à travers les talens du second ordre et les esprits élégans du XVIIIe siècle, jusqu’au maréchal de Villars, et même à son fils et successeur académique, le duc de Villars, qui n’avait pas plus fait d’ouvrages que gagné de batailles, mais en qui la reconnaissance publique saluait à l’Académie le son venir de Friedlingen et de Denain.

Depuis la date où s’est arrêté le travail de d’Alembert, 1772, c’est-à-dire depuis quatre-vingts ans aujourd’hui, nul récit général ou particulier n’a été consacré à l’histoire de l’Académie, et cela pour le temps même où elle a été éprouvée, comme les autres grandes compagnies

  1. The History of the Royal Society of London for the improvement of natural know-ledge, by Tho. Sprat., DD. late lord bishop of Rochester, p. 39.